3.4.07

Les ponts – Tarjei Vessas

Ma découverte de cet auteur de référence norvégien, avec « la Blanchisserie » dont vous pouvez lire un article sur le blog, m’avait laissé sur ma faim. J’avais mis sur le compte d’une traduction simpliste ce sentiment d’inachevé d’un roman pourtant vu comme un chef-d’œuvre de la littérature nordique contemporaine.

Avec « Les Ponts », ultime ouvrage de l’auteur écrit en 1970, quelques mois avant son décès, mon appréciation évolue. Pourtant, toujours cette écriture simpliste, presqu’enfantine : ce ne peut donc être totalement imputable à la traduction. Les phrases et les chapitres sont d’une concision étonnante : l’essentiel est dit en allant droit au but, en très peu de mots. Il n’y a aucune fioriture. Les sentiments des trois adolescents mis en scène ici sont mis à vif. Rien n’est caché entre eux, ils ont cette honnêteté spontanée dont ceux qui n’ont pas encore vécu et qui n’ont pas été déçus sont encore capables.

La particularité de ce roman est également d’insérer, après certains chapitres clés, où l’histoire prend un nouveau tournant décisif, un court chapitre où nous sommes plongés dans ce que ressent profondément l’un des protagonistes. Nous sommes au cœur de ses doutes, de ses joies comme de ses peines lesquelles sont exprimées sans artifice et dans toute la fraîcheur d’une adolescence épargnée.

L’intrigue est simple : deux jeunes adolescents vivant en voisins depuis leur naissance et que les parents se sont accordés à marier vont faire fortuitement la rencontre d’une jeune fille de leur âge qui révélera à leur relation sa véritable nature. Ils en sortiront tous adultes, transformés, moins innocents. Le pont qu’il faut traverser pour rejoindre l’autre rive est symboliquement le lieu de cette transition du monde de l’innocence à celui des responsabilités. Il cristallise aussi la lutte à laquelle ces jeunes êtres vont se livrer entre eux et surtout à eux-mêmes. C’est sur ce pont qu’il faut affronter le vent hostile, le trafic dense, le regard des autres. L’autre côté est l’inconnu, le début d’un monde affranchi du cocon familial.

Il se dégage tout au long de ce roman tout à fait atypique par sa construction et son style une indéniable poésie. Il est également porteur de tensions et d’une brutalité soudaine, rapidement étouffée, absolument étonnante.

Comme dans « La Blanchisserie », les scènes cruciales se déroulent de nuit : c’est là que les êtres se mettent à parler, se livrent tels qu’ils sont comme si le fait de ne pouvoir voir leur visage, masqué par l’obscurité, rendait la confession plus simple.

Au bout du compte, un livre vraiment attachant, emprunt d’une profonde humanité, presque essentiel. Une superbe façon de découvrir une littérature trop méconnue et qui recèle des trésors.

Publié aux Editions Autrement – 228 pages

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