L’arbre du voyageur, c’est cette plante qui, une fois le tronc incisé, étanche la soif du voyageur perdu dans un désert aride.
La soif symboliquement représentée ici est celle de Yûji, un jeune homme de moins de trente ans, au caractère insaisissable, passionné par la métempsycose et de façon générale par les sciences occultes.
Le voyageur, c’est aussi Yûji, qui se livre à d’obscures quêtes comprises de lui seul et qui projette l’ascension d’une montagne dans une lointaine province japonaise, qu’il doit réaliser avec un de ses amis pour y cueillir de la marijuana sauvage et pure.
L’arbre du voyageur, c’est également la plante affectionnée par l’un des collègues de travail de Yûji, employé comme Yûji le fut, dans une improbable boutique de jardinerie. Collègue qui va constituer l’un des petits maillons pour retrouver la trace de Yûji, disparu subitement sans laisser d’adresse.
Mais il y a un autre voyageur en la personne du frère de Yûji, de huit ans son cadet. Il a pour son aîné une grande admiration entretenue par le mystère de sa personnalité, par les fugues de Yûji, adolescent, par son allure et sa haute stature, jusqu’à sa complète disparition, un jour, sans laisser de trace, sans prévenir.
A la mort de ses deux parents, à huit jours d’intervalle, la cadet va se mettre en route pour quérir Yûji à Tokyo afin de régler les questions de succession. Il va tomber sur un appartement vide et une photo d’une jeune fille sera le seul indice pour commencer une quête initiatique. Yûji, c’est l’homme insaisissable au sens propre et figuré.
Le cadet qui n’a jamais quitté sa province va soudainement plonger, au gré des rencontres des hommes et des femmes que son frère a fréquentés ou aimées, au cœur d’une ville branchée et vibrante.
Plus le temps passera, plus il s’identifiera à Yûji, jusqu’à faire d’une de ses conquêtes sa propre maîtresse.
Retrouver Yûji se révèlera complexe et Tsuji sait admirablement nous tenir en haleine au cours de cette quête aux multiples ramifications, physique, mystique et intimiste.
Comme dans « La lumière du détroit » bloggée dans Cetalir et que nous avions adoré, Hitonari Tsuji joue en permanence entre intrigue quasi policière et psychologie. Moins tourmentés que dans « La lumière du détroit », les sentiments se déroulent de façon feutrée, très intimes et les changements qui s’opèrent chez les différents acteurs se font par toutes petites touches successives et admirablement rendues. Une peinture toute en détails, soignée, précise.
Pourtant, le personnage indirectement principal, dans ces deux romans est un être complexe, ambivalent, à la recherche d’une impossible rédemption symbolique. Yûji est en marge de la société, violent, mystérieux et insaisissable comme Hanai dans « la lumière du détroit ». Il a besoin d’un révélateur, son frère, comme Hanai avait besoin de Saîto pour exister et révéler au monde sa véritable personnalité.
Nous sommes à nouveau envoûtés par cette atmosphère si particulière que Tsuji parvient à créer immédiatement, au bout de quelques lignes. L’auteur possède un incroyable talent de portraitiste tourmenté et qui fait éclore ses personnages dans des situations inhabituelles et complexes.
Il sait merveilleusement nous conduire à sa guise au long de quêtes parallèles où le chasseur subit sans arrêt l’influence de sa proie, jusqu’à devenir, en partie du moins, un double de celle-ci.
Nous sortons interpellés de ce roman où la part de mystère reste conservée une fois la dernière page tournée.
Admirable, une fois encore.
Publié aux Editions Mercure de France – 149 pages
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire