Fort d’un grand succès de librairie, récompensé du Prix Inter en 2003 avec « La petite Chartreuse », Pierre Péju s’est sans doute embarqué dans une aventure qui le dépasse avec son dernier roman « Le rire de l’Ogre ».
Pourtant, le roman démarre sur les chapeaux de roue et l’on se dit que l’on tient un bel et bon ouvrage, de ceux que, une fois commencés, on ne peut plus lâcher. Il se dégage une force émotionnelle et narrative certaine dans toute la première partie où nous voyons évoluer deux histoires, dans deux mondes.
Celui de la seconde guerre mondiale et de la folie meurtrière la plus sauvage qui s’exprime sans limites en plein cœur de l’Ukraine, juste avant l’enlisement de la Wehrmacht devant Stalingrad. Les doutes des deux officiers, l’un « Oberlieutenant » et l’autre, médecin militaire, sont rendus avec une vérité saississante face aux massacres de civils juifs qui se perpétuent sous leurs yeux et auxquels ils n’ont d’autres solutions, obéissance militaire oblige, que de prêter un concours indirect.
Une épreuve illustrant le « Rire de l’ogre », celui de la folie humaine capable des pires atrocités, des meurtres froids et gratuits d’enfants innocents, et dont ils ne se remettront jamais complètement. Une épreuve qui, pour être partiellement surmontée, une fois la paix revenue, conduira à deux stratégies : celle de la folie meurtrière ou celle d’un relatif isolement social.
L’autre monde mis en scène nous emmène en plein cœur de la Bavière, au début des années soixante, où un jeune adolescent, Paul Marlau, qui va devenir le personnage central et narrateur de toute la suite du roman, se trouve envoyé auprès d’un correspondant allemand. Histoire d’en apprendre la langue et de marquer, à titre individuel, la réconciliation franco-allemande. Il y découvrira la fille du médecin militaire, Clara Lafontaine, dont il croisera régulièrement la route tout au long de sa vie. Comme lui, elle cherche dans l’art, lui avec le dessin, elle par la photographie, le moyen de fixer à jamais les chemins tortueux des âmes.
Les doutes de l’adolescence, la découverte des premiers émois, la difficulté à être aux autres quand on a une âme d’artiste et que l’on parle mal la langue du pays d’accueil sont là aussi joliment rendus.
Mais le roman bascule du mauvais côté dans sa deuxième partie qui occupe près de soixante pour cent du récit.
Nous voici transportés quelques années plus tard, en France. Pierre Péju va alors tenter de se débattre avec les personnages mis en scène dans la première partie et de nouveaux individus, tous à forts caractères.
A vouloir rendre compte pêle-mêle, des évènements de mai 68, des complots ourdis à l’ombre de la sale guerre d’Algérie, de la puissance évocatrice d’un professeur de philosophie dans lequel les jeunes adolescents parisiens cherchent à voir un maître qui se refuse à eux, à vouloir nous lancer dans la puissance évocatrice que porte en elle la sculpture, pour illustrer au plan figuratif de multiples formes du « Rire de l’Ogre », Paul Péju sombre rapidement… Le roman s’enlise en prenant de multiples directions dont aucune ne mène quelque part.
L’auteur ne maîtrise plus les personnages qu’il a mis en scène : ils sont trop forts pour lui et l’entraînent dans un monde dont les règles et les contours sont ceux du roman, plus ceux de l’auteur.
Nous sommes vite perdus dans des conjectures philsophiques de bas étages où Péju tente, désespérément, de s’en sortir par des formules à l’emporte-pièce, ce qui ne fait qu’accentuer le naufrage du roman.
On se prend alors à rester à la surface du récit, un rien verbeux et totalement déconnecté de toute émotion.
Il est évident que les parti-pris de complexité narrative, en faisant se chevaucher des époques différentes où les personnages se croisent à certains moment clés, combinés à une volonté de ne mettre en scène que des caractères forts, sans nuances, ne sont absolument pas maîtrisés par l’auteur.
Alors, la hâte d’en finir se fait jour. Seul le dernier court chapitre évite de terminer sur d’éternels regrets. Il ne suffira cependant pas à sauver ce roman qui n’aurait jamais dû être publié en l’état.
Publié aux Editions Gallimard – 308 pages
Il est certes vrai que la deuxième partie n'est pas à la hauteur de la première... Je n'approuve pas cependant le fait de dire que l'auteur est perdu dans ses réflexions loin de là.. Ces parties se complètent l'une l'autre ! La deuxième retrace une véritable évolution de Marleau qui se ressent également dans le style qui se veut plus poétique et bien plus imagé..
RépondreSupprimerDe plus il me semble que si l'auteur n'avait pas dissocié les parties personne n'aurait remarqué la différence, c'est en les dissociant qu'il fait qu'elles se prêtent à la comparaison.. c'est humain : l'homme est friand de comparer..
A mon sens , la seule erreur qu'a commise Mr Péju est de dissocier les parties, car l'unité est, il me semble fort bien conservée et le roman nous mène habilement et d'une façon sciemment organisée sur une profonde réflexion sur des sujets "primaires" : amour, art voyages comme remède pour palier au profond malêtre qu'a causé la guerre... Une "guerre" a retardement.
De plus, le côté de l'art perçu comme un combat, qui par extension sert à évacuer le mal " mettre la pierre k.o" n'est ostensible que dans la deuxième partie : elle est donc plus que necessaire à la formation d'un ouvrage complet...
c'est également dans cette lignée que s'inscrit la vision orientale du bien et mal , qui se combinent pour ne faire qu'un : ainsi Édouard est il autant bienfaiteur qu'assassin et Paul aime presque autant Clara ( sombre et mystérieuse) que Jeanne ( incarnation même de la dévotion et du bonheur ) ... Et toute cette profonde réflexion se trouve dans la deuxième partie !
Merci pour votre commentaire qui apporte un éclairage intéressant et complémentaire à la lecture que j'ai tenté de rendre dans mon post. Une illustration supplémentaire que la lecture fait résonner en nous des sentiments, des souvenirs, des émotions qui sont forcément personnelles. Il n'en reste pas moins que vous pourrez trouver dans Cetalir des suggestions de lecture qui me paraissent structurellement et intrinséquement considérablement plus abouties que "Le rire de l'ogre".
RépondreSupprimerBien cordialement.