Ce qui étonne avec Gaudé, c’est sa remarquable capacité à se renouveler d’un roman à l’autre tout en conservant une qualité narrative et d’écriture à tous points admirable.
Dans ce roman paru en 2004, après le succès de «La Mort du Roi Tsongor » que nous avons encensé dans Cetalir, l’auteur fait montre d’un amour sincère pour les personnages qu’il met en scène au cœur d’un petit village des Pouilles, cette région d’Italie du Sud brûlée par le soleil et où l’olivier comptre presque plus que la vie des hommes.
La postface nous renseigne pour une fois utilement sur les raisons de cet amour sincère et inhabituel qui transpire véritablement à chaque page de l’auteur pour chacun de ces personnages, simples, rudes, essentiels. Il y a là une expression de l’amour pour une région d’origine familiale et dont la vie d’autrefois, ses traditions et sa rudesse sont fabuleusement rendues dans ce joli roman.
Nous retrouvons, un peu, deux des thèmes d’autres romans de Gaudé. Comme dans « La mort du roi Tsongor », nous plongeons ici dans la grande saga familiale puisque nous allons participer à la naissance d’un nom, celui des Scorta, et assister à son enracinement régional sur une période allant de 1875 à nos jours.
Le thème du passeur d’êtres qui n’ont plus rien à perdre est également superficiellement abordé, même s’il donne en soi les plus belles pages de ce roman avant que de servir de trame essentielle à « Eldorado » qui paraîtra l’année suivante.
Les Scorta c’est le résultat d’un quasi viol d’une vieille fille prise pour une autre et un brigand, à peine libéré de quinze ans d’emprisonnement pour brigandage. Pour paraphraser Gaudé, la lignée naquit « D’une erreur. D’un malentendu. D’un père vaurien, assassiné deux heures après son étreinte, et d’une vieille fille qui s’ouvrait à un homme pour la première fois. » (p29).
L’enracinement de la famille qui va naître ainsi ne pourra se faire que grâce à l’amour profond pour cette terre brûlée par le soleil et par la fuite dans un travail harassant, autour du petit tabac local que les quatre frères et sœurs de la génération suivante vont lancer. Un lancement rendu possible par l’argent ramené d’un bref exil new-yorkais, à la fois gloire et honte familiales, et par l’emprunt.
Les Scorta parlent peu mais ils sont liés par un pacte : celui de transmettre, juste avant de mourir, à un membre de la génération suivante, la seule chose qu’ils auront appris de la vie.
C’est cette tradition qui forgera la famille et la soudera face aux multiples épreuves de la vie.
Il y a beaucoup de souffrances et de simples joies dans ce beau roman qui, comme souvent avec Gaudé, met à profit une langue dépouillée pour rendre immédiats les sentiments évoqués.
Toute l’Italie du Sud est présente : le rôle de l’Eglise et des saints locaux, le sens de la famille, la méfiance des autorités locales, le brigandage, l’exil, le soleil écrasant, la mer, source de revenus légaux et illicites, l’importance de la mère, Miuccia, qui raconte, pendant qu’il est encore temps, la saga familiale, avant de mourir dramatiquement.
C’est probablement le roman par lequel nous vous recommanderions de découvrir Gaudé si ce n’est pas encore fait.
Il en émane une force tranquille et une maîtrise littéraire époustouflantes.
Publié aux Editions Actes Sud – 247 pages
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