Trailerpark c’est l’endroit où l’on parque les mobile homes américains. Ces grandes maisons longilignes, amovibles, en bois réservées aux classes les plus modestes aux Etats-Unis.
Russel Banks nous projette au cœur d’une petite communauté de laissés pour compte de la société américaine et qui ont tout juste le moyen de payer un modeste loyer en compensation d’une de ces caravanes.
Certes, elles sont disposées en bordure d’un lac quasi déserté, en plain cœur du New Hampshire. Un Etat agricole, pauvre, sans industrie, sans travail et où seuls ceux qui n’ont pas d’autres choix, restent. C’est l’état où Banks vécut. La campagne, les collines, la chasse te la pêche. Et surtout, un hiver long et rigoureux, un froid glacial puisque la température descend fréquemment à moins vingt.
Comme toujours, Banks use d’une langue extraordinairement simple, dépouillée, minimale pour aller à l’essentiel, pour nous permettre de rencontrer les hommes et les femmes simples, essentiels, un peu bruts de décoffrage qu’il choisit de mettre en scène. Le langage est souvent familier et l’on croirait souvent assister à une scène en direct, prise sur le vif, sans détour.
Le roman commence par un long premier chapitre de plus de cent pages où nous voyons vivre la communuaté. Nous faisons connaissance de chacun de ses membres, représentatifs de tous les pauvres d’un Etat essentiellement blanc.
Il y a là un capitaine retraité de l’Armée de l’Air qui se prend un peu pour le leader de cette communauté, une ancienne militaire, vivant seule et en marge des conventions. Avec un penchant tout particulier pour l’élevage de cochons d’Inde. Un élevage qui va engendrer une croissance exponentielle de la population animale et donc de leurs déjections. A tel point que, même si ces animaux restent confinés, leur présence dérange la bienséance collective, perturbe les habitudes. Alors les pressions deviendront de plus en plus fortes, de plus en plus insidieuses pour obtenir la liquidation de ces centaines d’animaux qui auront fini par engloutir la caravane.
Les chapitres suivants pourraient être lus indépendamment les uns des autres, comme des nouvelles. Or on sait que Banks excelle dans le genre.
Ces chapitres donnent à voir tour à tour chacun des autres habitants de cette communauté. Ils illustrent tantôt la bassesse humaine, l’alcoolisme qui sévit profondément pour rompre l’ennui, l’adultère quand on s’est lassé de l’autre.
C’est une galerie de paumés qui défile sous nos yeux attendris. Un jeune noir qui vit de petits boulots, de menus services rendus sur place et surtout de l’air du temps, ayant renoncé par avance à toute intégration d’ailleurs impossible.
Un adolescent shooté au chanvre et au shit et qui finira par payer de sa vie d’avoir voulu se frotter à plus fort que lui.
Une infirmière noire, dévouée, impliquée et intégrée, aux rapports troubles avec le médecin qui l’emploie.
Un vieil homme, solitaire et rustre, et dont le seul plaisir est de pêcher, coincé dans sa cabane sur patins calée sur la glace du lac gelé. Un vieillard qui a gagné à la loterie. Un gain inespéré qui pourrait changer sa vie mais dont la collectivité va vouloir s’arroger le bénéfice. Mais le comportement collectif stupide et veule emmènera ce petit monde à la catastrophe et à la honte infinie.
Bien d’autres personnages vous attendent dans ce très beau roman de Banks. Un roman qui parfois ressemble à une pièce de théâtre et où les divers protagonistes dialoguent intérieurement pour nous laisser voir comment chacun interprète, à sa façon, un évènement donné.
C’est la mariage des genres, la variété de ces situations quotidiennes anodines et banales mais superbement mises en scène par Banks qui font le charme indéniable de ce roman à part.
Si vous ne connaissez pas Banks, réparez cet oubli séance tenante !
Publié aux Editions Actes Sud – Léméac – 318 pages