Kevin Brockmeier sait immédiatement trouver le ton juste pour planter une atmosphère envoûtante, faite d’étrangetés et de léger malaise. Une étrangeté qui va se développer et se poursuivre selon des voies parallèles tout au long de ce qui fait de cet ouvrage un roman véritablement à part. Un de ceux qu’on n’oublie pas.
Pour nous entraîner dans cet univers à double-sens, l’auteur prend le parti de construire une histoire qui se déroule sur deux plans qui paraissent de prime abord totalement étrangers l’un à l’autre. Si étrangers que j’ai dû relire la quatrième de couverture pour m’assurer qu’il s’agissait bien d’un roman et non d’une suite de nouvelles.
Puis, au fil des chapitres à l’unité de temps et de lieu clairement définie, le lecteur intrigué va découvrir que ces deux univers sont en fait clairement liés l’un à l’autre.
Quels sont donc ces deux mondes parallèles ?
Tout d’abord, nous découvrons une cité hyper-contemporaine ne figurant sur aucune carte et dont la topographie s’ajuste d’heure en heure au fur et à mesure qu’elle accueille de nouveaux venus. Cette cité, c’est celle des morts, des trépassés qui y passent 60 à 70 ans avant d’en disparaître brutalement. Sans raison apparente...
Une cité en tous points identiques avec le monde réel: on y mange, y travaille, s’y déplace en voiture. Les téléphones mobiles y sont présents ainsi que tous les moyens de communication instantanée inventés par notre technologie contemporaine. Une cité où chaque habitant déclare sans ambages s’y trouver mieux que dans le monde réel précédent. Les êtres s’y aiment, les couples se retrouvent et se solidifient, les enfants retrouvent les parents... Bref un monde d’harmonie et d’une certaine sérénité.
Sans transition, le chapitre suivant (et il en sera ainsi de façon inaltérable tout au long du roman) nous transporte sur la banquise. Trois scientifiques y ont été envoyés par Coca-Cola pour une mission environnementale. Parmi eux, Laura Byrd, la spécialiste mondiale des problèmes environnementaux, problèmes qui à l’époque, sans doute pas si lointaine de nos jours, où se situe le roman se traduisent par un recul de la banquise, une montée des eaux et une disparition des baleines, des éléphants et des gorilles.
C’est l’épopée de Laura Byrd que nous allons suivre. Une épopée qui va la conduire à traverser la banquise, seule, une fois ses compagnons disparus sans laisser de traces. Une épopée pour sauver le monde, un monde frappé du virus de la tremblante de l’oeil qui fauche les humains par milliards. Laura sera-t-elle la dernière représentante de l’humanité sur terre ?
Sans répondre à cette question dont vous chercherez la clé dans le roman, nous allons peu à peu comprendre que la cité des morts est celle qui accueille le souvenir de nos défunts, de nos amis, de notre vie passée. Une cité qui s’éteint dès lors que nos souvenirs vacillent.
Une cité qui vit parce que Laura est vivante. Un monde virtuel au sein d’un univers réel, l’un étant résolument indissociable de l’autre, d’où les chapitres parallèles.
Grâce à une subtile allégorie, K. Brockmeier nous amène à nous interroger sur le sens de nos vies, sur l’importance à se souvenir et à comprendre que ce qui nous fait prend sa source constante dans le passé, dans nos relations aux autres, petites, futiles, majeures ou structurantes. Nous ne sommes humains que parce que nous évoluons auprès d’autres humains.
La question centrale de ce très beau roman n’est-elle pas, au fond, de chercher à comprendre ce qu’est la vie et de là où elle s’arrête vraiment.
Un livre hautement recommandable, remarquable d’originalité et qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page. A ne manquer sous aucun prétexte !
Publié aux Editions Panama - 301 pages