Le moins que l’on puisse d’André Schwarz-Bart, membre de l’Académie Française et décédé en 2006, est qu’il ne laissa pas une production littéraire des plus abondantes. Délibérément absent des cercles littéraires, il s’était retiré en Guadeloupe après le succès considérable de son roman phare, premier roman d’ailleurs, « Le Dernier des Justes » qui fut couronné du Prix Goncourt en 1959.
Il ne publia de son vivant que deux nouveaux écrits « La Mulâtresse Solitude » en 1972 et, quelques années auparavant, en collaboration avec son épouse, Simone Schwarz-Bart, elle-même romancière, « Un plat de porc aux bananes vertes » en 1967.
« L’étoile du matin » est un roman posthume que son épouse décida de publier en 2009. Un roman qui mit de longues années à mûrir et dont l’accouchement final se pressa alors que la maladie avançait et annonçait le départ de plus en plus proche et probable de l’auteur qui dicta certains passages à sa femme et son fils depuis son lit.
Tenter de synthétiser « L’étoile du matin » est une véritable gageure tant l’ouvrage s’inscrit à part. La meilleure définition que l’on puisse en donner est celle d’un conte hassidique, condensé de vision ironique et désillusionnée d’un Juif qui a cessé de croire en l’existence de son Dieu sans toutefois se départir des traditions souvent exubérantes et ostentatoires, festives ou exaltées de cette branche du Judaïsme.
Le parti-pris de l’auteur est le suivant. En l’an 3000, la Terre est désertée de ses habitants après un conflit nucléaire majeur qui a vu les peuples du monde entier émigrer vers des exo-planètes où ils vivent désormais en harmonie.
Une sorte d’archéologue en mission dans ce pays qu’on appelait autrefois Israël découvre deux énormes malles remplies de documents qui relatent le récit d’une extermination du peuple errant autour de l’an deux mille. C’est bien sûr de l’holocauste dont il est question.
A travers la vie romanesque de Haïm, l’auteur va nous donner sa vision du monde qu’il s’apprête à quitter. Haïm est le cadet des cinq fils du cordonnier de la petite ville polonaise de Podhoretz. Son père est le lointain descendant d’un autre savetier qui découvrit l’usage du violon, quelque part au XVII ème siècle, et en enchanta les siens au point de lui prêter des vertus miraculeuses qui lui valurent la visite du prophète Elie avant de devenir, par la force, le rabbin d’une communauté dont il se retira, ne pouvant supporter la douleur du monde.
Au moment où la seconde guerre mondiale éclate, le père de Haïm que tous croyaient rustre, fut le seul à comprendre que les « deux pharaons », Hitler et Staline, allaient s’en prendre aux Juifs et leur faire connaître à nouveau les pires abominations. C’est pourquoi il eut la présence d’esprit de faire fuir ses enfants avant que tous les Juifs du village ne soient méthodiquement exécutés dans la forêt proche.
Haïm, après que son frère aîné ait décidé d’aller mourir avec les siens, devient le chef d’une famille orpheline. Il va se retrouver enfermé dans le ghetto de Varsovie puis envoyé à Auschwitz, après que ses trois frères soient morts du typhus dans le ghetto. Il réchappera de l’enfer pour vivre ensuite une vie détachée, vidée de tout sens du fait de la barbarie à laquelle il aura assisté. Pour autant, il est sans ressentiment, conscient que les bourreaux furent habilement manipulés, conditionnés. Sa seule certitude est que Dieu est mort et que les trompeuses visites du Prophète Elie distribuant le pain aux enfants orphelins de Varsovie n’étaient qu’un leurre et la manifestation de la protection soucieuse du bon docteur en charge de l’orphelinat dans lequel il fut recueilli.
Le livre est d’une intense beauté, celle que donne la vision fantasmagorique d’un monde de croyances qui s’évanouit, se dissout dans la bestialité humaine et qui, jamais, ne pourra plus être comme avant. C’est aussi un témoignage envers les millions de disparus, la grande chaine d’hommes et de femmes qui ont fait de Schwarz-Bart ce qu’il fut avant qu’il ne s’en aille la rejoindre.
Publié aux Editions Seuil – 2009 – 251 pages