Première rencontre pour ma part avec cet immense acteur qui se lança tardivement, et avec un succès certain, dans la carrière d’écrivain. « Cher amour » est et fut son dernier livre, celui composé en partie, comme il l’avoue lui-même en toute fin de l’ouvrage, sur un lit d’hôpital, rongé par un cancer du rein qui finira par l’emporter. A ce titre, ce livre constitue un ultime témoignage d’un homme qui se savait en train de mourir mais qui avait la pudeur de le cacher.
Pourtant, j’eus bien du mal, au départ, à rentrer dans ce « Cher amour ». Le livre s’ouvre sur trois belles pages d’une belle écriture, formée à la fréquentation assidue des classiques, à l’apprentissage forcené des textes des plus grands auteurs dont on ne peut sortir indemne tellement ils vous habitent et vous hantent. Trois pages en forme de déclaration d’amour à une femme idéale, fantasmée, Madame T., qui n’existe pas et à qui l’auteur va se confier au fil d’un récit très autobiographique.
B. Giraudeau connut un parcours romanesque. Embarqué à quinze ans dans la Marine Nationale, il passa deux ans sur le navire amiral « Jeanne d’Arc » et fit deux fois le tour du monde. Il y découvrit les continents tout en dévorant, déjà, les plus grands auteurs. Il y fit les découvertes des passions qui démangent les hommes, ses premières fréquentations féminines, plus ou moins tarifées, et se heurta au vertige des multiples cultures qui pullulent sur notre belle planète.
Après cette introduction d’une intense poésie, d’un classicisme exalté, Giraudeau nous emmène de force dans ces successions de découvertes et de rencontres que furent sa vie. Les unités de temps et de lieu explosent alors car nous changeons de continents et d’époques au fur et à mesure que les souvenirs jaillissent. Mais toujours, la pensée de la femme aimée persiste. Et, toujours, le métier de l’acteur et du cinéaste l’entrainent sur de nouvelles routes comme autant de nouveaux prétextes à des découvertes qui fuient le plus possible celles des sentiers battus d’un tourisme moderne balisé.
Certes, les innombrables digressions sur les anecdotes historiques qui traversent son récit en Amazonie rendent la lecture un peu difficile et ont failli me décourager. C’est, à mon sens, la partie la moins réussie du livre. Mais, une fois cette jungle humide et hostile traversée, une fois l’histoire rappelée, faite de massacres et de sacrifices, de confrontations religieuses sur fond de recherche effrénée d’un or inexistant, le récit va trouver un rythme hypnotique et fascinant.
Nous partons alors à la découverte des Philippines, de Djibouti, du Cambodge ou du Vietnam où l’acteur tourne. Et Giraudeau possède un vrai talent de conteur, un œil pour voir différemment, décoder et interpréter les petits gestes anodins qui en disent long. C’est tout simplement sublime !
Fascinante est aussi la confession qui hante le dernier tiers du livre, celle de l’impossible épreuve qui consiste à digérer les mille cinq cents vers d’une terrible complexité de ce Richard III de Shakespeare qu’il faudra deux ans à l’acteur à maîtriser. Au cours de cette laborieuse et usante ingestion, toute situation devient prétexte à être illustrée d’un couplet de vers rassurant la mémoire et stabilisant une épreuve de chaque instant.
En refermant ce livre, on ne peut que vouer un témoignage reconnaissant à cet homme de culture et de générosité, acteur et écrivain, disparu encore jeune et que nous apprenons à connaître dans cette sorte d’ultime confession à la vie et à l’amour.
Ne manquez pas ce livre hors du commun !
Publié aux Editions Métailié – 2009 – 269 pages