Dès les premières lignes, Agnès Desarthe sait captiver notre attention, nous faire subir un choc pour mieux nous mener ensuite au cœur d’un récit noir et glaçant, en permanence à l’équilibre entre le fantastique, l’onirique et l’historique.
Le roman s’ouvre sur la mort d’un jeune homme, Armand, dont le corps explose avant d’être réduit en cendres dans l’explosion de la gigantesque boule de feu qui jaillit de sa moto. Armand, le jeune homme idéal, gentil, dévoué, beau et tendre. Armand, l’amant magique de Marina, la jeune fille de dix huit ans de Jérôme, ce cinquantenaire énigmatique que rien ne semble émouvoir et autour duquel tout le roman va graviter.
La mort d’Armand est un choc au moins aussi terrible pour Jérôme que pour sa fille. Son côté inexplicable et insupportable ravive des épisodes douloureux dans la tête de Jérôme. Commence alors une longue plongée dans l’inconscient, la nécessité presque vitale pour Jérôme de savoir qui il est, lui qui a toujours caché à ses proches et au monde qu’il fut un enfant trouvé dans les bois, recueilli puis adopté par un couple. Ce dernier prit un soin méticuleux à ne laisser aucune piste, à leur mort, et à entretenir Jérôme dans une construction mentale de son enfance qui va s’effriter, sous le choc qu’il vient de subir.
Le talent d’Agnès Desarthe, dans ce qui constitue à nos yeux son meilleur livre jusqu’ici, est alors de brouiller les pistes. Pourquoi Armand est-il mort, quel rapport cette mort violente peut-elle bien avoir avec la disparition brutale d’une jeune fille gothique dont le père vendit peu de temps après cette disparition la Triumph qui emporta le jeune homme dans la mort ?
Que peut bien vouloir l’ex-épouse de Jérôme dont il est divorcé depuis dix ans et qui débarque pour l’enterrement d’Armand qu’elle ne connaît pas pour bientôt semer le trouble dans la vie de l’homme qu’elle quitta sans explication ?
Qui est cette femme énigmatique, cette écossaise aux manières sans gêne et au langage crû qui tourne autour de Jérôme sous le prétexte de l’acquisition d’une immonde bâtisse auprès de l’agence immobilière qu’il dirige ?
Pourquoi Alexandre, un inspecteur homosexuel à la retraite, vient-il enquêter auprès de Jérôme sitôt l’enterrement terminé ? Pourquoi ces questions et ces théories sur les disparitions d’adolescents ?
De fil en aiguille et après nous avoir fait emprunter de nombreux chemins de traverse, la vérité sur l’enfance et les parents génétiques de Jérôme va remonter à la surface. Une vérité qui nous plonge dans le Thanatos de l’époque nazie, dans l’enfer des déportations et des camps, dans l’extermination systématique de familles entières. Une vérité qui, de façon systématique, démontrera que la réalité n’est jamais celle des apparences et des projections qu’elle entraine pour l’ensemble des enquêtes qui se croisent et s’entrecroisent dans ce roman singulier et sombre.
On en ressort troublé mais assez admiratif du travail mené.
Publié aux Editions de l’Olivier – 2010 – 211 pages