Un homme, l’Enquêteur, débarque dans une ville anonyme pour mener une enquête sur une série de suicides survenus dans l’Entreprise. Une Entreprise gardée comme un camp militaire et dans laquelle le personnel se comporte de façon incompréhensible, obéissant à des lois absurdes.
Dans la ville, tout semble se conjuguer pour rendre la vie impossible. Les foules compactes suivent des chemins tracés, traverser les voies soulève un torrent d’insultes provenant d’une cohorte d’automobilistes avançant à une incroyable lenteur. Loger dans l’hôtel relève d’un exploit car il faut répondre à un incroyable questionnaire sur un règlement que l’on est sommé d’apprendre par cœur par la Gérante. Une fois passée l’épreuve, les chambres allouées sont proprement inhabitables, le petit-déjeuner absurdement infect, pris dans la promiscuité d’un lumpen proletariat renouvelé chaque matin et abusivement présenté comme des touristes. Encore faut-il passer des heures retenu en garde-à-vue par le Policier qui loge dans un placard à balai et qui est immédiatement au courant de vos moindres actes, punissant sévèrement les écarts les plus anodins, laissant passer les autres.
Sans parler d’un climat qui alterne avec brutalité le froid le plus extrême avec une chaleur insupportable. Sous ce régime, l’Enquêteur va rapidement perdre tous ses repères, toute son humanité pour finir broyé par un système incompréhensible et qui ne semble fabriquer que l’impersonnel, l’inutile, retranchant toute part de joie et d’humanité à ceux qui survivent à un régime absurde.
C’est donc un roman à cheval entre un monde kafkaïen, fait d’une mécanique autonome dont la logique réside dans l’illogique et l’absence de toute réflexion, et un monde huxlien fait d’anticipation et dans lequel l’homme est gommé par un pouvoir tout-puissant.
Un roman fascinant par sa construction, la volonté délibérée de dépouiller l’Enquêteur de tous ses repères, de toutes ses croyances et ses valeurs en le confrontant à une succession de situations qui l’affament, le privent de ses vêtements, de sa liberté de mouvement, premières étapes avant la privation de la liberté puis de la liberté de penser. Un roman pour rappeler que le libre arbitre nécessite démocratie et respect. Un récit pour nous donner à voir que notre société ne mène nulle part si ce n’est à sa perte si elle ne redonne pas sa place à l’individu, au souci du lien social.
Certes, mais face à l’hallucinante séquence finale on peut se demander quel est le propos de l’auteur. Simple fable ou mise en garde ? Philippe Claudel prend bien soin de nous rappeler que « C’est en ne cherchant pas que tu trouveras ». Alors, il reste de l’espoir pour trouver la clé à ce roman étrange mais, qu’au fond, nous avons beaucoup aimé pour son parti-pris d’anticonformisme.
Publié aux Editions Stock – 2010 – 278 pages