Ce livre constitue une subtile allégorie sur la difficulté et la part de hasard dans cet exercice délicat et si personnel que constitue la création littéraire. Comment naît un livre ? De quoi se nourrit-il ? Quelle est la part d’imaginaire et la part autobiographique ? A partir de quand nous échappe-t-il ?
Ce sont autant de thèmes fondamentaux qui sont, une fois de plus, brillamment traités par un Gattégno qui sait de quoi il parle, lui qui enchaîne les succès littéraires et que nous avons eu souvent l’occasion de bloguer, en en pensant le plus grand bien, dans Cetalir.
Comme souvent chez Gattégno, c’est à des personnages un peu dérisoires, fragiles, mal à l’aise dans leur peau qu’il va faire appel pour illustrer avec humour et décalage les réponses qu’il propose aux questions qu’il nous pose.
Dès le départ, le ton est donné. C’est ouvertement que le lecteur se trouve interpellé sur ce qui fait qu’au bout de quelques phrases, on sent qu’on a envie de poursuivre ou non. « La bataille, souvent, se gagnait en deux phrases », nous dit-il et nous ne pouvons que souscrire, nous qui voyons défiler des centaines de livres par an et qui pouvons, la plupart du temps dire, sans risque de se tromper qu’un livre sera bon ou mauvais.
Celui-ci est bon, rassurez-vous. Pas le meilleur de Gattégno (nous préférons infiniment « Avec vue sur le royaume »), mais bon quand-même . Car, pour ne pas sombrer dans un assommant poncif philosophique, c’est à un petit roman policier décalé que nous sommes invités, aux péripéties facétieuses d’un écrivaillon qui végète chez « Romance » à écrire ou traduire des romans sentimentaux à la trame unique et dont le principal constituant est le copier-coller systématique.
La phrase qui ouvre le sésame lui sera soufflée par un personnage interlope, au visage quelconque mais qui se prétend le tueur en séries de femmes qui sévit impunément du côté de la place de Clichy, à Paris.
Cette phrase, haletante, interpellante, qui nous vaut une analyse amusée de Gattégno est la suivante : « Je suis l’enfant de la nuit médiévale et de la vie New-yorkaise. Un pont jeté entre deux abîmes .» Tout un programme, une promesse vers un ailleurs noir.
De là, notre écrivaillon, dix fois refusé comme écrivain mais qui a pourtant du talent, repéré par un malade mental qui rêve d’être publié sous un faux nom, va se voir proposer une offre non refusable.
Il reçoit les confessions du tueur en série et en déduit un roman à la gloire des origines prétendument aristocratiques de celui-ci. Un roman pour dire l’extase qui s’empare d’un tueur, l’importance de la petite enfance. Un roman pour justifier et réhabiliter un prétendu tueur.
Notre écrivain accepte et de là, sa vie va se trouver bouleversée.
C’est aussi une allégorie sur le « Maître et l’esclave » que Gattégno nous livre. Le commanditaire ne peut exister qu’à travers un tiers dont la réalisation ultime lui échappe car il est impossible d’écrire sans imaginer, se projeter, prendre en compte ce qui a fait ce que nous sommes devenus en tant qu’hommes. De là, une énorme distance peut survenir entre le livre rêvé par l’un, accouché par l’autre.
Ecrire, c’est aussi enfanter. Et comme l’arrivée d’un bébé dans une famille qui emporte une grande part d’harmonie sur son passage et bouleverse les habitudes des nouveaux parents, l’accouchement d’un livre ne s’accommode pas bien d’une compagne aussi stupide qu’elle est belle et qui croit que tout ce qui se passe dans sa vie est l’exacte translation de ce que son mec écrit chez Romance. Delà des situations fort cocasses qui valent leur pesant de cacahuètes !
Et un bon livre crée l’envie, la cabale, surtout quand l’auteur, par un concours de circonstances tragiques et drôles, finit par en devenir inconnu.
Certes, la trame est parfois un peu difficile à suivre, Gattégno s’amusant à nous semer dans des histoires parallèles dont on ne comprendra qu’à la toute fin qu’elles sont indispensables à l’œuvre.
Mais cette interrogation sur le sens fait partie de la démarche et nous y souscrivons sans réserve.
Alors, partez à la découverte de ce roman à part.
Publié aux Editions Calmann-Lévy – 238 pages