7.8.11

L’interrogatoire – Jacques Chessex

Le dernier manuscrit de Jacques Chessex se tenait tout prêt, quasiment achevé si l’on fait exception de quelques rares mots indéchiffrables ou laissés en suspens, pour mieux en parfaire la sélection, pointilleuse et aussi précise que le fil du scalpel qui dissèque la mémoire de cette confession posthume. Disparu brutalement, en pleine polémique verbale, frappé d’apoplexie après qu’il eut été traité d’homosexuel, Jacques Chessex n’aura donc pas eu le temps de parachever ce livre majeur pour qui veut mieux percer le mystère et la carapace de ce grand romancier, poète et essayiste du XXème siècle.


Lire « L’interrogatoire », c’est se confronter à la version contemporaine des Confessions de celui qui fut un grand admirateur de Rousseau et un exégète de Flaubert. C’est l’homme arrivé au terme de sa vie qui accepte de se livrer sans pudeur, sans tricherie ni forfanterie, sûr de son art, de son talent et aussi de ses innombrables faiblesses humaines que nous donne à voir l’auteur.


Pour cela, rien de tel que de figurer un interrogateur anonyme, sorte d’inquisiteur politique, religieux et omnipotent, comme notre siècle sut en produire tant, posant d’impérieuses questions auxquelles Chessex, parlant de lui et seulement de lui, va consentir à répondre tout en gardant son libre arbitre, son impertinence, son droit à penser autrement, de façon déviante, dans une société helvétique guindée par un jansénisme plus ou moins bien assumé.


Aucun sujet n’y est tabou et seule la sincérité et la probité semblent guider des réponses d’une haute teneur philosophique, forgée par la connaissance approfondie des belles lettres, la pratique exaltante et épuisante de la forge littéraire et une vie d’homme plus que bien remplie ! Comme toujours chez Chessex, la langue y est splendide, dégorge de puissance tellurique et fascine par son apparente facilité.


Nous entendrons donc les confessions d’un homme qui fut avide de femmes et qui, sur la simple lecture des yeux et des lèvres, se faisait une idée immédiate de la beauté et de la forme du sexe qu’il convoitait aussitôt. D’un homme qui fut éperdument amoureux de sa compagne, belle et suprêmement intelligente, de quarante ans sa cadette. D’un homme qui ne sut avouer que tardivement son amour à sa mère (voir le poignant « Pardon mère » sur Cetalir).


Nous y découvrons son alcoolisme qui faillit l’anéantir et dont il sut se départir avant qu’il ne fût trop tard. Son rapport ambigu à la religion, calviniste de naissance, Thomiste de formation ce qui lui permit d’avoir une lecture plus humaine du protestantisme, lui qui croyait en Dieu au moment de l’Eucharistie mais donnait l’impression de ne plus ou point y croire le reste du temps.


Un coin du voile se soulève sur la manière d’écrire, la frustration de ne pouvoir se consacrer entièrement à ce qui le rongeait, obligé par les cours qu’il donna à des centaines de lycéens qu’il prépara au Bac. Et beaucoup plus encore…


Tout amoureux des livres de Chessex, que j’admire pour ma part au plus haut point, se doit de lire ce petit fascicule qui permet d’entrevoir l’homme derrière l’homme de lettres. On y découvre un être tourmenté par ses désirs, en proie à ses doutes et contradictions, entier et qui finit par s’assumer tel qu’il se construisit. Un livre à lire et à relire tant la puissance de la langue obture parfois l’évidence de la lecture.


Publié aux Editions Grasset – 2011 – 158 pages