13.8.11

La femme Dieu – Yves Bichet

« La femme Dieu » constitue le premier volet d’une trilogie consacrée par Yves Bichet à Jeanne, cette jeune fille issue d’une famille de drapiers à Mayence, qui en quelques années, du fait de son intelligence et de son allure androgyne finit par être élue Pape en l’an 855. L’Histoire et les conventions vinrent à bout de ce fait troublant au point de l’avoir quasiment fait disparaître de notre conscience historique collective.


N’allons cependant pas y voir un quelconque roman historique plus ou moins bien achevé. Comme toujours chez Yves Bichet, l’imaginaire et la psychologie jouent un rôle essentiel mis en valeur par une écriture puissante et riche, forte de sensations, d’humeurs et d’odeurs comme en recelait en permanence ce Haut Moyen-Age.


Car derrière l’aventure romanesque picaresque et haute en couleurs de cette jeune femme que nous conte avec succès l’auteur, c’est surtout d’amour et de désinvolture dont il est ici question. Il fallut bien évidemment un caractère hors du commun à Jeanne pour échapper aux multiples tentatives de disparition violente qui l’attendirent en chemin.


Chassée brutalement de Mayence au motif farfelu d’y avoir apporté la peste, elle dut survivre à l’assassinat sauvage de ses parents, au viol d’un brigand turc, à la faim et au froid, au charriage des pestiférés morts en se mêlant à la puissante confrérie des moines de Saint-Alban.


Cachant son identité de femme mais semant le trouble par son allure longiligne, sa jeunesse, la laiteuse blancheur de sa peau et son allure androgyne, elle gagna ses lettres de noblesses en survivant à la terrible ordalie que sa liberté de ton lui valut. Son extraordinaire adaptabilité, sa soif d’apprendre, son intelligence lui valurent d’être remarquée, protégée, enviée dans un monde soumis en permanence aux luttes fratricides entre les fils de Charlemagne.


Capable d’aimer comme une femme déguisée en homme parmi les hommes privés de femmes, son sourire et son rire impertinent en firent un objet d’adoration et de représentations picturales. Au-delà des anecdotes historiques dont est intelligemment et sans aucune pesanteur parsemé le roman, c’est la stratégie de survie de cette femme qui n’a de cesse que de se faire passer pour un homme qui fascine. Une stratégie basée sur la bravoure, la capacité à défier l’adversaire, quel que soit son rang et son rôle, une infinie capacité à aimer hommes et bêtes et aussi, à entretenir une relation trouble d’amour avec le Frère en charge de Saint-Alban. Un amour coupable, homosexuel pour l’Abbé tenté par ce jeune homme rayonnant et sauvage, coupable aussi pour une jeune fille qui ne peut avouer son sexe et qui est attirée par un homme plus âgé qu’elle, détenteur du savoir et du pouvoir.


Ce qui fascine chez ce personnage et dans ce récit, c’est l’extraordinaire liberté dont s’arroge celui que tous appellent Frère Jean et à la volonté duquel il semble impossible de résister. Une liberté dans le chant liturgique qu’elle fera profondément évoluer, une liberté dans l’apprentissage du savoir qu’elle n’aura de cesse que d’ouvrir aux Novices lorsque son tour viendra de régner sur l’Abbaye, une liberté face au pouvoir politique visqueux et englué dans les compromissions qu’elle saura soumettre.


Tout cela est admirablement rendu par Yves Bichet qui produit un grand texte pour un personnage hors du commun !


Publié aux Editions Fayard – 2001 – 327 pages