Yoko Ogawa est considérée au Japon comme l’une des écrivains majeures contemporaines et a été récompensée de très nombreux prix littéraires prestigieux.
Son roman « La marche de Mina » se situe à part dans son œuvre jusque là centrée sur l’analyse minutieuse de la société nipponne. En effet, dans « La marche de Mina », c’est la cohabitation des cultures occidentales et japonaises qui est minutieusement étudiée, le regard d’une japonaise qui découvre le monde européen.
C’est par les yeux d’une femme mûre qui se remémore une année à part, passée chez son oncle et sa tante, du temps où elle avait une douzaine d’années que cette analyse va se dérouler.
Tomoko est orpheline de son père. Parce que sa mère, ouvrière textile, décide de suivre une formation pour améliorer sa situation, Tomoko est envoyée dans la famille de la sœur de sa mère. Une famille peu ordinaire, l’oncle étant japonais par son père et allemand par sa mère.
Son oncle est un entrepreneur actif et qui a réussi dans la fabrication et la distribution d’une boisson non alcoolisée. Il demeure, officiellement du moins, dans une superbe demeure à l’espagnole dans les montagnes. Cohabitent dans la maison trois générations, dont la grand-mère allemande. L’oncle, charmeur et attentif, disparaît fréquemment pour de longues journées, sans explication et sans que personne ne semble s’en formaliser. Nous comprendrons peu à peu ce que ses disparitions dissimulent.
Tomoko va bientôt prendre le rôle de la grande sœur de sa cousine Mina, asthmatique te de santé fragile.
C’est le parcours de ces deux adolescentes qui va être superbement mis en scène par Yoko Ogawa. Deux adolescentes qui s’apprivoisent, deux adolescentes qui vont découvrir peu à peu le monde des adultes, l’infidélité de l’oncle, les rapports ombrageux entre l’oncle et son fils parti étudié en Suisse. Mina est une jeune fille sensible qui collectionne les boîtes d’allumettes dans lesquelles elle dispose des histoires de son crû, inspirées des images de chacune des boîtes. Des histoires qui se déroulent dans un monde imaginaire, poétique, d’une sensibilité à fleur de peau. C’est une des prouesses de Ogawa que d’avoir su joncher son roman très travaillé de textes en apparence simples, en réalité d’une rare subtilité.
De façon très intimiste et pudique, l’auteur va décrire les rapports des hommes à la nature. Pour cela, elle fait appel à un hippopotame nain à la présence apaisante, discrète au sein du parc attenant à la maison et qui fut, un temps, un zoo en liberté. Un hippopotame domestique qui sert aussi de moyen de locomotion à Mina pour se rendre à l’école par des chemins escarpés. Un chapitre extraordinaire sur l’attente vaine d’une pluie d’étoiles filantes, au sommet d’une montagne constitue un monument littéraire. Il s’en dégage une poésie magique, les deux cousines allongées sur l’herbe, observant le ciel étoilé et écoutant l’hippopotame qui est du voyage, se baigner dans le lac en contrebas.
En observant les adultes, en se confiant l’une à l’autre, Mina et Tomoko vont peu à peu découvrir une sensualité naissante, la fascination des garçons, le poids des secrets. Elles vont aussi découvrir la brutalité du monde lorsque, supportrices de l’équipe de volley-ball nationale, les jeux olympiques de Munich vont être à jamais entachés des odieux attentats contre les Israéliens.
Au cours de cette année à part, Mina va marcher vers le monde des adultes, apprendre à surmonter sa santé fragile, se préparer à devenir une jeune femme autonome, réconciliée avec une famille en apparence unie mais profondément déchirée.
Un livre inouï de beauté, d’une rare sensibilité, magnifiquement écrit et traduit.
Publié aux Editions Actes Sud – 318 pages