Dans ce roman publié à compte d’auteur (voir ma note sur l’auteur dans « Assureur d’emploi » du même auteur), Bernard Houot nous invite à réfléchir sur ce que pourrait devenir une société parvenue à maîtriser toute la chaine de conception et de gestation d’embryons humains au point de proposer aux « parents » qui en feraient le choix un modèle d’enfant sur mesure, choisi sur catalogue, conçu artificiellement et se développant dans un utérus artificiel.
Pour ce faire, l’auteur imagine une petite histoire assez délirante, mi tragique mi comique, à travers laquelle seront abordés certains des aspects sociaux et des dérives potentielles prévisibles qu’une telle approche pourrait receler.
Tout commence par une classique histoire d’amour. Deux jeunes gens se rencontrent sur les bancs de la faculté. Ils se plaisent, flirtent, et parce que le garçon veut tout savoir de celle qu’il convoite et qui lui résiste pour l’éprouver, il va lui demander de raconter sa vie. C’est ainsi que nous découvrons que Grace, cette belle jeune femme métis et intelligente, a pour parents un couple d’artistes musiciens qui, depuis toujours, ont milité pour l’égalité des sexes et la plus totale liberté de choix dans la conception et la gestion d’enfants. Un militantisme qui alla jusqu’à ce que la femme biologique du couple soit considérée comme l’époux et l’homme biologique la femme, histoire d’afficher une stricte égalité sexuelle.
La vie de ce couple avant-gardiste, exubérant et libéral sera la parfaite illustration d’un monde où le mariage entre deux personnes de sexes opposés ne sera plus le socle de la reproduction de l’espèce. Un monde où, parce que les techniques de parthénogénèse et de manipulation génétique sont à ce point maîtrisées, la voie s’ouvre en grand à une exploitation mercantile et farouchement commerciale d’embryons humains fabriqués en faisant appel à des techniques de marketing de pointe au risque de se retrouver avec des stocks d’invendus dont il faudra bien faire quelque chose ou de se lancer dans de dangereuses dérives presque faustiennes ou beauté et santé s’échangent contre l’incapacité à se reproduire autrement que de façon artificielle histoire d’entretenir un business florissant.
Avec beaucoup d’imagination et pas mal de talent, Bernard Houot met en scène comment intérêts commerciaux et postures idéologiques vont s’affronter, comment la société, du moins pour sa frange la plus libérée et la plus aisée, fait exploser les limites traditionnelles de la famille, comment la tentation d’intégration d’un business qui va de la conception jusqu’à l’éducation va devenir de plus en plus forte au point que l’appât du gain finira, malgré tout, par provoquer la faillite d’une partie du système.
La force du livre tient dans la modération apparente de son propos car il ne s’agit pas ici de condamner a priori, au nom d’une morale ou d’une posture, mais de laisser voir en quoi les frontières de nos sociétés s’en trouveraient profondément ébranlées et d’imaginer un point d’équilibre dont les dérives, après s’être manifestées, en seraient finalement exclues. En donnant une approche positive des choses, en empruntant les traits d’un couple moderne et libéral, en gommant les contours de la surface apparente des choses, l’auteur nous invite en fait à voir le danger d’un monde qui, sous des apparences de bienveillance et d’ouverture, pourrait devenir aussi totalitaire et dangereux que celui imaginé par Huxley. Un monde qui deviendrait gouverné par la suffisance, le caprice, la mode, l’égocentrisme et l’individualisme sans penser en quoi que ce soit au prix que les générations à venir auront alors à payer. Un monde où l’homme pourrait, à tort, finir par se prendre pour Dieu et en payer le prix. C’est bien cela le vrai propos de ce roman.
Alors, malgré une qualité littéraire assez quelconque, le livre atteint son objectif : celui de nous interpeler en nous amusant et cela est déjà en soi une belle réussite !
Publié aux Editions Houot – 2009 – 303 pages