Il a fallu le talent d’un écrivain guinéen
d’expression française et la récompense d’un Prix Renaudot à la rentrée 2008
pour tirer de l’oubli un de ces personnages fantasques, mi aventurier, mi
scientifique que seul le XIXe siècle sut engendrer.
Aimé Victor Olivier est un grand bourgeois
lyonnais. Industriel et chimiste, diplômé de l’Ecole Centrale de Paris, il fut
entre autres l’inventeur de la roue à moyeux suspendu ce qui l’amena tout
naturellement à inonder le marché de ce que l’on appelait vélocipèdes dans la
deuxième moitié du XIXe siècle.
Personnage fantasque, passionné de géographie
et de politique (il fut le plus jeune maire de France à une époque où le poids
des ans avait valeur de sagesse), féru de philosophie et d’Absolu (il passa sa
vie à rédiger un obscur traité de philosophie consacré à ce thème), il tomba en
amour de l’Afrique.
Continent encore sauvage en cette fin de XIXe,
terre d’enjeux géopolitiques entre l’Angleterre, la France et le Portugal qui
se déchirent des zones d’influence et de futures colonies, l’Afrique reste
largement à défricher, à organiser et à civiliser.
Anobli par le Roi du Portugal pour les
services rendus dans la description des terres africaines et devenu Vicomte
Olivier de Sanderval, notre homme décide de se lancer dans un projet
mégalomaniaque mais aussi crédulement humaniste : celui de construire une
ligne de chemin de fer de 9000 km de long qui traversera l’Afrique pour
déboucher à Conakry et de devenir roi du Fouta-Djalon, province peul centrale
et déterminante pour contrôler le Soudan anglais de l’époque.
En dépit des railleries et d’une opposition de
la toute –puissante Navale, Olivier de Sanderval parviendra, grâce à son
intelligence politique, sa foi incontournable en son projet, sa fortune
personnelle, son abnégation à se faire nommer roi de Kahel, peul parmi les
peuls, à frapper monnaie, à fonder Conakry le tout au nez et à la barbe des Anglais et des
Français qui le lui feront payer très cher, le moment venu.
C’est cette épopée romanesque et romancée que
nous conte avec un talent de griot africain, de façon aussi lyrique que
documentée Tierno Monénembo. Traverser la jungle Africaine, survivre aux
coliques, à la fièvre jaune, au paludisme et autres microbes qui décimaient la
population blanche, sauver sa tête, au sens propre du terme, face aux
populations musulmanes et profondément divisées du territoire peul que nul
blanc n’avait jusqu’ici réussi à infléchir nécessitait une santé de fer et un
idéal absolu. Il fallut manœuvrer, guerroyer, soudoyer, résister aux pressions
incessantes des deux rivales qu’étaient l’Angleterre et la France qui
comprirent tardivement l’intérêt supérieur que représentait le Fouta-Djalon,
pour qu’Olivier de Sanderval parvînt à ses fins.
Cette extraordinaire épopée, tombée depuis
dans le plus profond oubli, valut gloire personnelle à notre homme, folie des
salons et des conférences en Europe et en fit une star des gazettes avant que de sombrer corps et biens sous
les coups de butoir de la politique réaliste et des intérêts coloniaux de la
République.
C’est aussi un projet idéaliste de progrès, de
civilisation supérieure blanche apportée à ce qui était unanimement considéré
comme la race nègre inférieure qui nous est décrit brillamment ici. Un livre
pour mieux comprendre ce qui fit de l’Afrique ce qu’elle est encore
aujourd’hui, un continent exploité et oublié du monde, un continent largement à
la solde des grandes nations.
Publié aux Editons Seuil – 262 pages