22.7.12

Le dernier des Weynfeldt – Martin Suter



La Suisse peut-elle être jubilatoire ? Ce n’est en tous cas, pas à première vue, l’adjectif qui vient à l’esprit pour qualifier notre voisin policé et jouant le rôle de discret coffre-fort des nantis du monde entier.

Pourtant, Martin Suter, écrivain suisse d’expression allemande, prend un délicieux plaisir à nous entrainer dans un roman impertinemment malhonnête où chacun des protagonistes n’a d’autre ambition que de rouler dans la farine, avec brio et classe, celui aux dépens duquel il tisse son piège. Bref, on jubile et on s’extasie face à une telle maîtrise !

Nous sommes dans l’une des grandes villes prospères allemandes. Peut en importe le nom. L’argent et le luxe non ostentatoire en sont de toute façon l’apanage.

Adrain Weynfeldt est le dernier héritier d’une longue lignée de riches industriels helvètes. Expert en art suisse (et oui, cela existe !), il mène jusque là une existence policée, irréprochable et doucereusement terne. Il vit seul dans un immense appartement luxueux, entretenu par une gouvernante âgée qui le connaît depuis sa plus tendre enfance. Son seul modeste plaisir est de se laisser taper par ce qu’il considère être ses amis, une bande d’artistes à la gomme, sans génie, sans clients, et qui voit en Adrian plus une source inépuisable et facile de financements qu’un ami avec lequel on puisse parler.
Cette existence aussi neutre que la Suisse va brutalement connaître une succession de chahuts provoqués par la conjonction de deux évènements qui vont malicieusement s’entremêler.

Un de ses amis d’enfance contacte Adrian pour lui faire part de son désir de vendre la fameuse « Femme nue devant la salamandre » de Félix Valloton, tableau mythique et énigmatique, convoité par tous les collectionneurs de la terre. Surgit en même temps de nulle part une trentenaire débridée, Lorena, à l’apparence troublante qui rappelle à Adrian son seul et unique amour, partie des années plus tôt sans qu’il ait osé la retenir. Une femme dont il va tomber raide dingue malgré son comportement louche et intéressé. Une femme qui va révéler à Adrian, bien malgré lui, un autre que celui qu’il croyait bien connaître…

A partir de là, Suter va nous concocter une assiette suisse de son invention sur fond d ‘escroqueries en série. Un plat délicieux, savoureux et dont chaque ingrédient révèle une inventivité qui nous révèle la Suisse sous un autre jour, beaucoup moins propre que ce que les bonnes convenances d’usage n’aimeraient laisser voir. C’est avec une habilité parfaite et un suspense maîtrisé jusqu’à la toute dernière page que le lecteur ébaudi se laisse charmer par ce roman décalé, pince-sans-rire et terriblement efficace.

Un petit chef-d’œuvre d’art littéraire suisse…

Publié aux Editions Christian Bourgeois – 341 pages