Jacques Chessex se fit connaître en 1973 avec
« L’ogre » pour lequel il reçut le Prix Goncourt. Publié en 1996,
« La Mort d’un juste » est un roman austère voire répulsif tant par
le thème abordé que par l’écriture, pesante jusqu’à en être lourdement
alambiquée. Pour notre part, autant avouer tout de suite que nous n’avons pas
du tout aimé ce livre…
Nous sommes au bord du Lac Léman. Dans cette
confédération helvétique policée et un peu fade, un théologien arrivé au
crépuscule de sa vie se livre à une sorte d’auto-confession critique. Un peu à
la manière d’un Jean-Jacques Rousseau auquel il est fait référence à plusieurs reprises. Le roman est d’ailleurs
truffé d’emprunts littéraires et les fantômes de Benjamin Constant, Nabokov,
Dostoïvesky, entre autres, hantent les pages et les pensées de ce récit aussi
aride qu’un prêche évangélique dans le désert.
Aimé Boucher a passé sa vie à étudier les
écritures, à interpréter les arguties religieuses. Il a formé des générations
de pasteurs luthériens. Or, derrière l’apparence d’un homme austère,
célibataire et entièrement dévoué à Dieu se cache un homme hanté par ses
démons. Aimé est un esthète à sa manière, un satyre attiré par les belles jeunes
femmes, vierges et inexpérimentées de préférence, un séducteur qui joue de sa
maîtrise des mots pour attirer à lui les chrysalides et les brûler dans les
feux d’un amour égoïste et hédoniste. Il le fait sans remords et en jouissant
totalement et à sens unique de ces abandons savamment orchestrés.
Peu à peu, il nous sera révélé que c’est sur
le corps de deux jeunes filles dont il aura abondamment goûté les multiples
délices en les pliant à son inflexible volonté, à son désir impérieux, à ses
caprices vicieux qu’il aura puisé l’inspiration pour publier un poème érotique,
« La Sainte Cène ». Bien qu’édité à compte d’auteur et sous un nom
d’emprunt, cette publication lui aura valu la réprobation, un procès médiatisé
et, au bout du compte, la mise à la retraite anticipée, avec les honneurs tout
de même.
C’est à la source de ce poème qu’Aimé va nous
faire remonter. Et c’est là que le roman commence à nous égarer par ses
références absconses et les entrecroisements littéraires avec les grands hommes
qui l’auront influencé. On se croirait à la recherche de palimpsestes dont la
lecture est réservée à une élite
dépassée.
Pire, le roman finit de nous achever en
multipliant dans le temps et les lieux les disparitions brutales et violentes,
entourées d’un halo mystique et mystérieux, des jeunes femmes qui se seront
laissées prendre. On s’y perd vite, on s’y ennuie ferme et on respire avec
soulagement quand le roman un tantinet insupportable et pédant trouve enfin son
point final…
Publié aux Editions Grasset – 319 pages