Norman Rush est née en 1933près de San
Francisco et « Accouplement » constitue son premier roman publié en
1991. Ce roman connut un immense succès critique dans les pays d’expression
anglaise et fut même considéré comme l’un des évènements littéraires du dernier
quart du vingtième siècle !
Pourtant, voilà un roman d’une grande
difficulté. Tout semble y être fait pour semer en route un lecteur qui doit
réellement s’accrocher pour résister aux multiples tentations d’abandonner en
chemin un pavé serré et dense de plus de cinq cents pages… C’est ce que je
qualifierais de roman typiquement universitaire, le genre dont on raffole quand
on a une vingtaine d’années, qu’on navigue dans les concepts et l’idéalisme et
que la réalité de la vie quotidienne ne vous a pas encore fait toucher du doigt
l’urgence du matérialisme.
Quand, beaucoup d’années plus tard, un homme
mûr comme votre serviteur se retrouve confronté à la référence constante et
entremêlée de concepts soit largement oubliés depuis, soit totalement inconnus
en dehors d’un tout petit cercle de thésards déconnectés de la réalité sociale,
la lecture de ce roman social devient rapidement ardue au point d’en être
absolument incompréhensible à de trop nombreuses occasions.
Ce qui caractérise ce récit, c’est son
effroyable lenteur, la complaisance avec laquelle cette femme qui se raconte,
décortique avec minutie et un rien de masochisme les mécanismes complexes d’un
amour impossible, celui pour un homme dont elle a partagé la vie et les utopies
pendant quelque temps, séduite par son intelligence, sa facilité à manier les
concepts, sa capacité à gloser et à vous faire briller en vous associant à sa
propre gloire.
Un amour qui l’amènera à traverser seule, à
pied, impréparée et en toute inconscience, le désert du Bostwana pour aller
rejoindre le fondateur d’une cité indépendante où les femmes ont le pouvoir.
Cette traversée épique constitue le seul moment où le récit, pendant une
trentaine de pages, se lâche vraiment et où la vraie vie prend toute son
importance. Plus de concepts, plus d’auteurs, plus de belles phrases quand il
faut survivre au soleil brûlant, au sable qui dessèche, à la soif et aux pièges
naturels.
Après cent cinquante pages d’autoanalyse qui
nous montre en détails la névrose de celle qui se confie et son incapacité à
savoir aimer simplement , sa tentation renouvelée pour des amours
impossibles, nous allons pendant plus de trois cents pages assister à la
construction, l’apogée et la destruction d’un nouvel amour. Le tour de force du
roman, car il faut avouer qu’au bout du compte on assiste à un authentique
exploit, c’est de faire cohabiter cette histoire personnelle avec l’analyse
sociologique de cette cité matriarcale utopique. Une cité qui va peu à peu se
déliter car toutes les utopies finissent par ne jamais résister à l’usure du
quotidien, aux tentations de pouvoir, aux clivages sardoniques.
L’autre intérêt est de comprendre en quoi sous
couvert de générosité, c’est en fait le profond égoïsme du fondateur qui
gouverne tout. Un égoïsme qui se dissimule habilement sous les concepts et les
idées mais qui finira par causer la perte de ces dernières car on ne peut pas
avoir raison, à terme, contre tous.
Il en résulte un livre intensément à part et
qui hésite sans cesse entre l’analyse sociologique, les commentaires
philosophiques, l’introspection psychologique et le cadre romanesque.
On admire la force de la construction
intellectuelle, la culture encyclopédique de l’auteur mais, pour notre part,
nous sommes toujours restés en dehors d’un récit d’une absolue froideur et
d’une lenteur quasi insupportable.
Publié aux Editions Fayard – 561 pages