Difficile de
penser cependant que ce roman ne soit pas largement autofictionnel. Comme
l’auteur, le narrateur se prénomme Elise. Comme elle, elle est écrivain. Comme
elle, elle vit un bouleversement dans sa vie : ici, un divorce qui va
devenir le déclencheur d’un changement radical de vie.
Tout commence par
un acte doublement symbolique. D’abord, vider le grand appartement de Paris en
donnant les meubles et surtout les livres descendus sur le trottoir, devenus
les éléments d’une bibliothèque ouverte où chaque passant est invité
silencieusement à choisir, se servir et s’emparer d’un compagnon de lecture qui
deviendra le sien à jamais, le retour vers le précédent propriétaire ne faisant
pas partie de la règle. Un psychanalyste y verrait là un acte chargé de
sens : un écrivain dont la vie est de fabriquer des livres devenus sa vie
et en ayant accumulé une quantité d’autres au préalable pour se nourrir et
alimenter sa propre genèse commence par tuer symboliquement tout ce qu’elle a
fait jusque là en se débarrassant de son signifiant. Premier acte d’une pièce
en deux temps, le second, une fois l’appartement vidé, étant de quitter Paris.
Paris, la ville lumière, la ville de la culture, celle où une femme de lettres
a toutes les chances de mieux se faire connaître. Paris, la ville haïe aussi,
celle qui étouffe, celle qui contraint, celle qui vous rappelle un passé devenu
douloureux.
Commence alors
une sorte de road movie qui va emmener Elise sur les routes du monde. La
Guyane, la province du côté de Saint-Nazaire et autres, le plus souvent en occupant des lieux laissés
vacants par des propriétaires lui offrant d’en bénéficier.
Et puis, la
solitude, de plus en plus pesante et la difficulté à écrire. Alors, le recours
à ce dont la technologie de notre temps a rendu plus simple, plus lisse et plus
direct : les sites de rencontre et la recherche de partenaires masculins.
Hommes d’un soir ou de plusieurs, toujours plus jeunes, souvent de couleur avec
le risque implicite et sans doute plus ou moins conscient appelé de tomber
amoureuse.
C’est tout cela
qu’Elise-Elise nous conte dans une sorte de journal intime qui déroule le fil
d’une vie qui finit de se défaire pour reconstruire autre chose ensuite et
retrouver le goût de Paris, une fois les charmes plats et bien fades d’une vie
provinciale esseulée ou mal accompagnée épuisés.
Elise Fontenaille
aime à se raconter. Directement comme ici ou indirectement comme dans
« Brûlements » où il était question d’un ancêtre épique. Ce sera
bientôt à nouveau le cas dans un livre où il sera question d’un grand-père, le
Général Mangin, l’un des bouchers de la guerre de quatorze. « Ma vie
précaire » semble avoir été écrit avec une sorte d’urgence et le
déséquilibre de son propos narratif n’en est que la traduction, l’accent mis
sur la quête d’une sexualité de substitution occupant une place débordante au
risque de déplaire à certains lecteurs. Il rend aussi compte de la fragilité de
nos vies qu’un accident peut bouleverser profondément, remettre du tout au tout
en question. Même si nous ne nous en rendons pas compte, nous vivons tous dans
une forme de précarité potentielle qu’il nous appartiendra d’affronter, à notre
façon, le moment venu. Pour Elise , ce fut un livre, catalyse d’une errance. Un
beau livre, intime et touchant.
Publié aux
Editions Calmann-Levy – 2012 – 207 pages