Voici un livre d’histoire qui se lit comme un thriller grâce
à l’immense talent de son auteur. Il faut dire qu’Erik Larson avait déjà frappé
fort avec son précédent livre paru en France sous le titre « Le diable dans
la ville blanche» et dont les droits avaient été achetés par Leonardo di Caprio
pour un film dont la sortie est prévue pour 2014.
« Dans la jardin de la bête » est son sixième
livre, mais seulement le deuxième à paraître ici. Il a fait l’objet d’enchères
record pour les droits d’adaptation au cinéma remportés par l’acteur américain
Tom Hanks.
La démarche d’Erik Larson est celle d’un historien
méticuleux et consciencieux, celle d’un homme qui passe un long moment à
éplucher les ouvrages de référence et à rechercher des documents jusqu’ici
inconnus ou inexploités, dormant le plus souvent dans les fonds des plus
grandes bibliothèques du monde. Pour son dernier opus, il a puisé une grande
partie de sa matière première dans les carnets de l’ambassadeur Dodd publiés
sous le titre de « Ambassador Dodd ‘s Diary » par ses enfants
Martha et Bill ainsi que les mémoires de Martha publiées sous le titre de
« Through Embassy Eyes » complétées de divers documents personnels,
dont des lettres d’amour superbes, de cette dernière qu’elle a léguées à sa
mort.
Des témoins de premier ordre puisqu’il s’agit de rendre
compte de la période allant de Juillet 1933 à Décembre 1937 durant laquelle
William E. Dodd fut chargé par le Président Roosevelt d’être l’Ambassadeur des
Etats-Unis auprès de l’Allemagne. Pourtant rien ne prédestinait Dodd à occuper
cette charge. C’est parce que tous ceux auxquels elle fut proposée refusèrent
que cet historien qui ne rêvait que d’une chose, terminer sa grande histoire du
Sud des Etats-Unis dont il était originaire, finit par accepter avec comme
instruction de Roosevelt de rester dans une stricte neutralité vis-à-vis de la
question juive qui commençait à devenir pressante dans une Allemagne en voie
rapide de nazification, et de convaincre l’Allemagne de respecter ses
engagements de remboursement de la dette de guerre contractée auprès des
Etats-Unis.
Pendant plus de quatre années, Larson nous donne à voir la
vie presque quotidienne de la famille Dodd. Une vie à la fois ordinaire et
extraordinaire. Ordinaire parce que Dodd l’était dans une grande mesure. Homme
de petite extraction, il était obnubilé par le souci de dépenser le moins
possible ce qui lui valut des inimitiés de plus en plus manifestes de tout le
corps diplomatique américain habitué à vivre sur un grand pied. Extraordinaire car, lui qui avait connu
l’Allemagne civilisée du début du siècle, découvrait une Allemagne envoûtée, de
plus en plus brutale et préparant de façon absolument manifeste, malgré les
proclamations contraires de son leader Adolf Hitler, une guerre destinée à lui
redonner son espace vital et à faire triompher des idéaux racistes.
Extraordinaire aussi parce que Martha fut un véritable
personnage romanesque. Elle collectionna les aventures amoureuses et puisa ses
nombreux amants dans l’intelligentsia américaine, française mais aussi parmi
les notables fascistes tels que Rudolf Dies, le chef de la Gestapo, ou le chef
de la propagande nazie. Elle fut également la maîtresse enflammée de Boris
Winogradov, un secrétaire de l’ambassade soviétique mais aussi un espion russe
à Berlin. D’abord enthousiaste et convaincue par la révolution
nationale-socialiste allemande, elle finit par s’en détourner à force
d’assister à des scènes de plus en plus brutales pour devenir ensuite une
espionne à la solde du régime communiste.
C’est un monde en pleine ébullition et se préparant à sa
perte que nous donne à voir et à réfléchir, avec brio et intelligence, Larson.
Un monde bloqué par l’Amérique soucieuse d’une seule chose, être remboursée,
fermant les yeux trop longtemps sur les outrances inacceptables d’une Allemagne
qui bascule dans la terreur ; une Amérique aussi préoccupée
d’isolationnisme et voulant éviter d’entrer dans un conflit que son Ambassadeur
comme son Consul ne manquaient de dépeindre comme pourtant inévitable.
Un monde mité par un anti-sémitisme plus ou moins latent qui
permit de fermer les yeux sur une répression pourtant de plus en plus systématique
de tous les Juifs allemands jusqu’aux déclarations explicites de Göring
proclamant la volonté du régime d’éradiquer la planète de tout ce qu’elle
comptait d’impurs.
Un monde incapable d’unir ses forces pendant qu’il était
encore temps de bloquer l’irrésistible ascension d’un fou malade et de sa
clique alors que tous les caciques s’entredéchiraient allègrement pour
s’arroger le plus de pouvoir personnel. Une incapacité frappée d’égoïsme, celui
de protéger de fallacieux intérêts court-termistes aux dépens de la protection
d’un monde libre.
Bref, une leçon d’Histoire universelle pour nous rappeler
les dangers qui nous guettent à nouveau face à la montée quasi fanatique de
l’Islam autour de nous, dévoyé par un petit nombre pour ses intérêts propres,
ou bien encore face à un Iran qui s’arme nucléairement en prétendant
honteusement le contraire ce qui est une simple farce aussi dangereuse que
malsaine. N’oublions jamais que l’histoire ne se répète pas, elle balbutie…
Publié aux Editions du Cherche-Midi – 2012 – 646 pages