Déjà avec ses deux précédents recueils de nouvelles
« L’angoisse de la première phrase » et « Contes
carnivores », Bernard Quiriny, jeune auteur belge, nous avait montré tout
son amour des livres et de la littérature au point d’en faire un thème
essentiel, quasi obsessionnel de son espace romanesque.
Reprenant le droit fil de ces deux parutions antérieures, B.
Quiriny nous livre à nouveau un très original recueil à mi-chemin entre une
collection de nouvelles que l’on peut lire indépendamment les unes des autres
et d’un roman dont le fil conducteur serait Bertrand Gould, personnage
rémanent, omniprésent dans son œuvre, véritable guide dans cet espace où
l’absurdité confine au génie.
Gould est une sorte de dandy belge, passionné de
littérature, glosant sur le monde qu’il sillonne pour son plaisir. Un double
littéraire de l’auteur qui nous ouvre les portes de sa bibliothèque imaginaire.
« Une collection très particulière » s’articule
clairement autour de trois thèmes à la fois distincts et intriqués car tous
ramènent à Gould qui en est l’exposant, une sorte de conférencier privé pour un
ami à son tour narrateur de la cocasserie qui se révèle à lui.
Le premier thème qui donne son titre à l’ouvrage est celui
de la collection de livres absurdes, éminemment improbables de Gould dont la
passion est de réunir tout ce qui va démontrer l’immense difficulté et
l’intensité de l’effort demandé aux écrivains pour accoucher de leur engeance
littéraire. Des livres qui s’évaporent dans le temps car ils sont
intrinsèquement trop mauvais et recherchent par eux-mêmes à revenir à l’essence
thématique. Des livres qui ne peuvent se lire qu’habillé à quatre épingles,
réservés à une sorte d’élite dandy. Des livres qui ont tué leurs auteurs ou des
tiers. Des livres qui renferment des secrets qui ne se livreront qu’à ceux
capables de les décoder, cachés au plus profond des textes. Bref, un monde à la
Italo Calvi ou bien encore campé dans l’univers de Borges dont Quiriny est un
spécialiste.
Le deuxième thème est celui des villes. Dix villes de la
planète qui disent là encore l’absurdité de leur raison d’être car on y dort
par un exemple inexorablement un jour sur deux, perdant ainsi la moitié de sa
vie, ou qu’on y parle trois langues absolument identiques mais que les
locuteurs ne peuvent comprendre que s’ils voient toutes les indications dans ce
qu’ils sont persuadés être leur seule langue, ne comprenant pas les deux autres
pourtant rigoureusement pareilles. Et puis, celle qui se résume en une phrase,
une sorte de litote elliptique éblouissante qui résume à elle seule la
puissance du texte de Quiriny : « Pleins
de confiance, les fondateurs de Livoni construisirent la ville au pied d’un
volcan qu’ils croyaient éteints. » Sublime !
Enfin, Quiriny/Gould se mettent à disserter sur des
problèmes de société, imaginant des situations aussi délirantes que cocasses
depuis que les morts se mettent à ressusciter en masse ou que l’on a trouvé
l’élixir de jouvence ou que tout un chacun se voit autorisé, voire encouragé, à
changer sans cesse de nom créant un monde où plus personne ne sait vraiment qui
est qui quand ce monde ne se met pas, ultime calembour, à faire se rejoindre
les mondes parallèles inhérents à la théorie quantique.
Tout cela est extrêmement jouissif parce que joliment
caustique, délicieusement impertinent et, surtout, magnifiquement écrit. Un
très gros coup de cœur décidément !
Publié aux Editions Seuil – 2012 – 185 pages
Merci à Marie-Noëlle Rolland de la librairie Lirenval de St
Rémy les Chevreuses d’avoir mis cet exemplaire à notre disposition dans le
cadre de la sélection du Prix Michel Tournier.