Molina est l’un des plus grands auteurs espagnols
contemporains, l’un des plus poétiques et introvertis, loin de l’emphase
picaresque d’un Arumburia ou d’un De la Puerta. Vous trouverez les notes de
lecture de certains de ses romans dans Cetalir « « L’hiver à
Lisbonne », « Une ardeur guerrière », « En l’absence de
Bianca », « Fenêtres de Manhattan »).
« Le vent de la lune » est paru en 2006 en Espagne et en 2008 en France. C’est à mon sens, son œuvre la
plus personnelle, celle qui mêle assurément des souvenirs d’enfance à un devoir
de création littéraire.
Etant de la même génération que l’auteur, j’ai été comme lui
profondément marqué par cette extraordinaire aventure que fut la conquête de la
lune concrétisée par la mission Apollo XI. Avec mes parents, jeune garçon de
moins de dix ans, en vacances dans une pauvre ferme du Lot, j’ai assisté ébahi
et un peu endormi au premier pas d’Armstrong sur ce satellite de la Terre, le
vingt juillet 1969.
C’est cet événement symbolique d’une rupture technologique,
celle qui nous a précipité dans une société dominée par l’électronique, les
mathématiques et la physique, celle où chaque année nous repoussons d’un
nouveau cran les limites de l’esprit humain, qui sert de trame à ce roman
envoûtant et lyrique. Un événement qui a ébranlé les convictions religieuses
aussi, les adultes espérant trouver Dieu en orbite autour de notre planète.
Dans la petite ville andalouse de Magina, un adolescent
qu’on dirait aujourd’hui surdoué suit avec passion les différentes missions
Apollo. Il est obnubilé par la plus belle, Apollo XI. Fils d’une famille pauvre
et ruinée par la guerre civile qui fit des ravages dans le village, il lui faut
subir les assauts d’un père qui se lève avant l’aube et se couche au chant du
coq pour s’occuper d’un jardin dont il vend les fruits et légumes goûteux au
petit matin.
Parce qu’il est rêveur et qu’il sent confusément le besoin
de fuir un monde familial qui n’est pas le sien, ce jeune homme se réfugie dans
la lecture des traités d’astronomie. Il cherche dans la science qui progresse
alors à grands pas l’explication d’un monde qui vit la fin du Franquisme et le
bientôt brutal basculement de l’Espagne dans une Europe moderne.
La fin d’un monde symbolisée par l’agonie de Balthazar, un
riche et avaricieux voisin, qui a su intriguer du temps de la guerre civile
pour accaparer les oliveraies et envoyer à une mort certaine les gêneurs. La
fin d’un monde symbolisée aussi par des prêtes dont la seule mission est de
happer les plus brillants élèves de ses écoles pour les convaincre d’un appel
divin et perpétuer le pouvoir de l’Ordre.
Le roman se situe dans un glissement continu et progressif
du temps, une succession de fondus-enchaînés entre ces mutations que le jeune
homme pressent et celles qu’il observe, trente ou quarante plus tard, devenu
adulte. Une mutation qu’il sent aussi avec violence dans son corps couvert de
boutons et agité des
« pollutions nocturnes », honteuses et fulgurantes, que la moindre
image d’une femme souvent issue d’un roman ou d’un film censuré, ne manquera
pas de provoquer.
On se laisse emporter par cette lente et douce inversion du
temps, par cette nostalgie rêveuse d’un homme qui assiste à la mutation d’une
époque tout en restant ancré dans ses rêves.
Un des plus beaux romans de Molina et l’un des plus
maîtrisés, aussi.
Publié aux Editions Seuil – 298 pages