Jean-Michel Guenassia s’était fait connaître avec le « Club des Incorrigibles » récompensé du Prix Goncourt des lycéens en 2009. Comme il l’explique dans une interview disponible sur YouTube, il a longtemps cherché à donner une suite à ce roman y renonçant finalement devant la difficulté à faire revivre ses personnages dans un nouveau contexte. C’est alors que l’idée lui est venue de concevoir un nouveau personnage qui va devenir le point central de son nouveau roman « La vie rêvée d’Ernesto G. ».
Ce sera, Joseph
Kaplan, qui traversera le siècle. Né en 1910 à Prague, il fête son centième
anniversaire un siècle plus tard, ultime témoin d’une vie qui aura vu les pires
abominations de l’histoire humaine, le vingtième siècle n’ayant pas été avare d’horreurs
sans précédent. Comme le Josef K. du Château de Kafka auquel il est fait un
explicite clin d’œil, il aura été le jouet de l’Histoire, pris dans le tourment
des guerres et des révolutions qui ont balayé cent années d’une existence peu
banale.
Joseph Kaplan est
un homme profondément attachant parce que viscéralement fidèle en amitié comme
en amour, dévoué et capable de se livrer corps et âme à des projets
susceptibles de changer le monde sans chercher à en tirer le moindre profit
personnel. C’est ce qui en fait la force mais aussi la limite quand autour de
lui les trahisons, les revirements, la paranoïa sous toutes ses formes se
mettent à frapper aussi aveuglement que férocement.Cet amoureux de Gardel dont il possède tous les disques aurait pu avoir une vie facile. Bel homme, danseur exceptionnel, il collectionnait les conquêtes féminines pendant ses études de médecine commencées à Prague et poursuivie à Paris. Repéré pour son intelligence et ses travaux, il sera embauché par l’Institut Pasteur et envoyé à Alger pour y travailler sur la mise au point de vaccins propres à combattre les virus qui déciment cheptels et hommes.
Avec la seconde
guerre et les rafles de juifs qui s’abattent sur l’Algérie, il lui faudra fuir
dans le bled, y survivre trois ans avant que de décider, la guerre à peine
achevée, de retourner en Tchécoslovaquie avec la femme de sa vie, Christine,
autour de laquelle se structurent les deux-tiers du roman. Il y trouvera un
pays ravagé par la guerre et emporté par l’utopie communiste. Il y passera la
fin de ses jours et y connaîtra la gloire comme la peine la plus extrême.
Alors qu’il
aurait pu fuir au moment où les frontières se sont ouvertes pour trois mois, lors
du printemps de Prague, il restera sur place pour protéger sa fille Héléna,
point d’ancrage du dernier tiers du roman. Devenu responsable d’un sanatorium
perdu loin de tout, il recevra alors, sur ordre de la terrible police secrète,
un malade urugayen, Ernesto G., ravagé par la tuberculose, le paludisme et la
dysenterie. Un homme au passé glorieux que nous découvrirons avec lui,
personnage historique dont on découvre ici une page de sa vie méconnue même si
elle fait l’objet d’ici d’une version romancée. C’est avec cet épisode que sa
vie basculera définitivement. Envolées les dernières illusions, il ne restera
plus du communisme qu’un régime froid, manipulateur, profondément destructeur
pour lequel les vies ne comptent pas sauf à faire avancer une cause devenue
folle, dogmatique et sans but. Un régime qui finira par s’écrouler de lui-même
non sans avoir détruit autour de Joseph bien des destins, bien des histoires,
bien des êtres.
L’auteur, à
travers cette longue fresque romanesque, nous rappelle que le siècle passé fut
un long siècle plein de désenchantement où beaucoup devinrent martyrs et peu
des héros malgré eux. Il n’est pas certain que le vingt-et-unième siècle fasse
mieux…
Un beau livre qui
se lit avec intérêt sans toutefois susciter de la passion.
Publié aux
Editions Albin Michel – 2012 - 535 pages