C’est la chronique d’une Amérique qui perd tout repère en
ses valeurs, qui doute de sa supériorité, qui peu à peu se délite que R. Moody
nous conte avec un succès certain. Le titre « Purple Americ » n’a
rien à voir avec l’expression inventée quelques années plus tard pour décrire
la mixité des votes bleus (démocrates) et rouges (républicains) qui, une fois
retranscrits sur une carte des Etats-Unis, donne une image violette (purple) du
pays. Cette couleur, c’est celle que prit le ciel du Pacifique, un soir, lors
d’essais nucléaires réalisés sans protection à une époque où l’Amérique croyait
encore en sa toute-puissance. Ce ciel décrit dans la toute dernière page de cet
épais roman par le mari de Billie avant qu’il ne découvre sa stérilité et ne
meurt, encore jeune, sans doute d’un cancer déclenché par une exposition
insouciante aux effets insidieusement destructeurs de multiples expériences
nucléaires artisanales.
C’est à la déchéance physique, morale et financière d’une
famille que nous allons assister. L’histoire est condensée sur quelques jours,
symboliques de l’accélération du processus qui semble miner le pays depuis une
bonne vingtaine d’années maintenant.
Le livre s’ouvre sur une époustouflante phrase de cinq
pages, une phrase qui détaille par le menu ce qu’un fils paumé doit endurer
pour s’occuper de sa mère, Billie, paraplégique, anémique, quasiment incapable
de s’exprimer et totalement dépendante. Une phrase sans concession comme le
roman le sera tout entier.
Billie fut belle, désirable, insouciante et riche. Billie
fut aimée de deux maris mais le dernier, beaucoup plus jeune qu’elle, directeur
de la centrale nucléaire de Three Miles Island, vient de s’enfuir du domicile
conjugal, ne supportant plus l’enfer et l’esclavage d’une épouse momifiée.
C’est le fils unique de Billie, issu du premier mariage,
qui, venu passer un week-end avec sa mère, la découvre abandonnée et qui va
devoir faire face à des obligations qu’il est incapable, psychiquement,
d’assumer.
Moody recourt alors à la juxtaposition de trois récits pour
décrire le processus destructeur et sans retour qui est à l’œuvre. D’un côté,
c’est l’accident de la centrale nucléaire qui intervient le jour du départ à la
retraite de son Directeur. Un accident dû à la négligence, à une certaine
insouciance et dont la gravité ne va cesser d’empirer faute de prendre les
mesures qui s’imposent. Bref, c’est une réaction en chaîne, symbolique de
l’implosion du pays qui, faute de rigueur, de vouloir regarder les priorités en
place, court à sa perte.
En parallèle, le fils se débat dans ses contradictions.
Honteux de son physique ingrat, héritier qui a dilapidé sa fortune en pure
perte, il est en proie à un bégaiement incoercible qui ne rend que plus
infranchissable la déjà difficile communication avec une mère grabataire. C’est
dans l’alcoolisme chronique et les aventures sexuelles sordides qu’il tente de
cacher le sens d’une vie qui tourne en rond. Une vie d’échecs successifs et
pleine de non-dit.
Billie quant à elle n’a qu’une obsession : qu’on la
laisse mourir et que son fils accepte de mettre un terme à une vie ruinée par
des problèmes de santé de plus en plus graves. Elle veut en finir avec une existence de souffrances et de
déchéance.
En déroulant ces situations tantôt parallèles mais souvent
entremêlées, Toole crée une atmosphère lourde et implacable comme la machine
qui fait courir l’Amérique à sa perte. Le roman aurait pu être pesant. Il est grinçant et caustique
grâce à un humour décalé et décapant. Une grande réussite.
Publié aux Editions Seuil – 352 pages