Après « Persécutions » qui constituait le premier
volet d’un diptyque, voici « Inséparables » qui peut se lire comme un
roman à part entière, complètement détaché du premier.
Les deux frères Filippo et Samuel ont désormais une
quarantaine d’années. Ils ont suivi des voies différentes mais sont restés
quelque part comme ces couples de perruches, inséparables, incapables de vivre
l’un sans l’autre, malgré leurs différences. Ils arrivent à un âge où il faut
affronter des choix, trouver une place dans un monde qui ne veut pas forcément
d’eux, surmonter des difficultés sérieuses dans leurs vies de couple.
Filippo est devenu une sorte de dilettante ayant abandonné
la profession de médecin pour se consacrer entièrement à sa passion depuis
toujours, la bande dessinée. Poussé par son agent, il va réaliser un dessin
animé sélectionné à Cannes et devenir brutalement une vedette hyper médiatisée,
courtisée par tous, adulée ou haïe, sollicitée pour donner son avis sur n’importe
quoi, persécutée aussi par des groupes islamistes radicaux qui veulent
l’éliminer en raison d’une séquence de trente secondes qui choque leurs
consciences aussi rigides qu’absconses.
Samuel fut longtemps banquier d’affaires à New-York avant de
craquer pour devenir un occulte commis-voyageur dans le monde dangereux de
l’import-export du coton. Sa carrière bat de l’aile car il a pris trop de
risques et il sait son avenir désormais totalement hypothéqué.
Mais, surtout, Filippo et Samuel doivent affronter leurs
multiples névroses. Celle causée par une mère juive qui continue de les couver
comme s’ils étaient toujours de petits enfants. Celle induite par des compagnes
elles-mêmes déséquilibrées. Filippo est mariée à une actrice de second plan
anémique, schizophrénique et insupportable qu’il trompe à bras raccourcis. Samuel
vit avec une fille avec laquelle il n’a jamais couché en vingt ans et à qui il
a promis le mariage par défi envers sa jeune maîtresse avec laquelle il n’a non
plus jamais couché, tous deux pratiquant l’onanisme en présence de l’autre.
Mais surtout, c’est l’ombre du père qui plane en permanence.
Celui qui fut un grand ponte cancérologue prodiguant aisance et honorabilité à
sa famille avant que de finir reclus dans le sous-sol de la maison pour avoir
été accusé d’avoir séduit la petite amie de douze ans de Samuel. Il mourut dans
ce sous-sol haï de tous, sans mot dire. Et depuis, son épouse a fait de ce même
lieu son cabinet médical étant elle-même gérontologue. On le voit, le bon
Docteur Freud a bien du travail dans cette famille qui empile les non-dits, les
actes symboliques et les névroses en tous genres.
A partir de ce cocktail quelque peu malsain, Piperno va
brillamment constituer un roman à la fois caustique et parfois drôle, crû et
douloureux, acide et acerbe où chaque membre de cette famille inséparable mais
que pourtant tout sépare devient la figure symbolique d’une Italie qui part à
vau-l’eau, elle même figure emblématique d’une société contemporaine plus large
qui coule bel et bien à pic.
Voici en tous cas un livre choc, souvent volontairement malsain, qui vous attrape
et n’est pas près de vous quitter même une fois la lecture achevée. C’est bien
le meilleur compliment que l’on puisse faire au genre.
Publié aux Editions Liana Lévi – 2012 – 397 pages