23.2.13

Inséparables – Alessandro Piperno



Après « Persécutions » qui constituait le premier volet d’un diptyque, voici « Inséparables » qui peut se lire comme un roman à part entière, complètement détaché du premier.

Les deux frères Filippo et Samuel ont désormais une quarantaine d’années. Ils ont suivi des voies différentes mais sont restés quelque part comme ces couples de perruches, inséparables, incapables de vivre l’un sans l’autre, malgré leurs différences. Ils arrivent à un âge où il faut affronter des choix, trouver une place dans un monde qui ne veut pas forcément d’eux, surmonter des difficultés sérieuses dans leurs vies de couple.

Filippo est devenu une sorte de dilettante ayant abandonné la profession de médecin pour se consacrer entièrement à sa passion depuis toujours, la bande dessinée. Poussé par son agent, il va réaliser un dessin animé sélectionné à Cannes et devenir brutalement une vedette hyper médiatisée, courtisée par tous, adulée ou haïe, sollicitée pour donner son avis sur n’importe quoi, persécutée aussi par des groupes islamistes radicaux qui veulent l’éliminer en raison d’une séquence de trente secondes qui choque leurs consciences aussi rigides qu’absconses.

Samuel fut longtemps banquier d’affaires à New-York avant de craquer pour devenir un occulte commis-voyageur dans le monde dangereux de l’import-export du coton. Sa carrière bat de l’aile car il a pris trop de risques et il sait son avenir désormais totalement hypothéqué.

Mais, surtout, Filippo et Samuel doivent affronter leurs multiples névroses. Celle causée par une mère juive qui continue de les couver comme s’ils étaient toujours de petits enfants. Celle induite par des compagnes elles-mêmes déséquilibrées. Filippo est mariée à une actrice de second plan anémique, schizophrénique et insupportable qu’il trompe à bras raccourcis. Samuel vit avec une fille avec laquelle il n’a jamais couché en vingt ans et à qui il a promis le mariage par défi envers sa jeune maîtresse avec laquelle il n’a non plus jamais couché, tous deux pratiquant l’onanisme en présence de l’autre.
Mais surtout, c’est l’ombre du père qui plane en permanence. Celui qui fut un grand ponte cancérologue prodiguant aisance et honorabilité à sa famille avant que de finir reclus dans le sous-sol de la maison pour avoir été accusé d’avoir séduit la petite amie de douze ans de Samuel. Il mourut dans ce sous-sol haï de tous, sans mot dire. Et depuis, son épouse a fait de ce même lieu son cabinet médical étant elle-même gérontologue. On le voit, le bon Docteur Freud a bien du travail dans cette famille qui empile les non-dits, les actes symboliques et les névroses en tous genres.

A partir de ce cocktail quelque peu malsain, Piperno va brillamment constituer un roman à la fois caustique et parfois drôle, crû et douloureux, acide et acerbe où chaque membre de cette famille inséparable mais que pourtant tout sépare devient la figure symbolique d’une Italie qui part à vau-l’eau, elle même figure emblématique d’une société contemporaine plus large qui coule bel et bien à pic.

Voici en tous cas un livre choc, souvent  volontairement malsain, qui vous attrape et n’est pas près de vous quitter même une fois la lecture achevée. C’est bien le meilleur compliment que l’on puisse faire au genre.

Publié aux Editions Liana Lévi – 2012 – 397 pages