Voici un roman inattendu qui constitue une bonne opportunité
pour se confronter à la littérature indienne contemporaine.
Saisissant le prétexte d’une prétendue visite officielle du
Premier Ministre chinois, l’auteur, qui emprunte l’identité d’un entrepreneur
de la grande technopole du Sud de Bangalore, décide de conter à l’hôte officiel
ce qui est la véritable identité de l’Inde. En six nuits consécutives passées
seul dans son grand bureau orné, comme il en rêva toujours, d’un lustre à
pampilles, notre entrepreneur va utiliser sa propre histoire pour décrire par
le menu les nombreux travers d’une société qui hésite entre traditions et
modernité.
Avec beaucoup d’humour et d’autodérision pour sa propre
nation, A. Adiga va se lancer dans une description acerbe et sans concessions
de la corruption généralisée qui règne en maître absolu, du chaos total et
systématique qui ne manque pas de saisir le visiteur oriental à peine le pied
posé dans le moindre aéroport indien, du délabrement complet des
infrastructures routières sans parler de la quasi inexistence du traitement des
eaux. Malgré cela, les gratte-ciels poussent comme des petits pains mais
l’infrastructure ne suit pas, loin s’en faut.
Pour survivre aux maladies, à l’indigence, aux mafieux
locaux qui exploitent les plus pauvres d’entre les pauvres, il faut à la fois
du courage, une volonté farouche et un sens de la débrouillardise hors du
commun. Toutes choses dont ne manque pas cet entrepreneur qui, comme nous
l’apprendrons très vite dans ce roman, n’a pas hésité à tuer son Maître pour
gagner la liberté, à commencer par celle d’entreprendre en vue de s’enrichir,
coûte que coûte, y compris au prix de la vie des siens, et au plus vite.
L’humour un rien décalé (influence british oblige !)
permet presque d’accepter sans juger cette forme d’auto-confession en forme de
témoignage et de s’accommoder des situations les plus scabreuses ou
révoltantes. On en viendrait quasiment à éprouver un peu de sympathie pour
l’entrepreneur, ce « Tigre Blanc », c’est-à-dire cet animal rare dont
un seul exemplaire existe par génération, lui, l’exception qui a su émerger du
bourbier de plus d’un milliard d’individus parmi les plus pauvres de cette
planète.
D’ailleurs l’auteur semble presque résigné sur la situation
de son pays. Pour y avoir séjourné à des fins professionnelles et travailler
avec des équipes locales, je vous confirme que ce pays est un cauchemar absolu
pour ce qui est de l’efficacité, de la productivité, voire de l’honnêteté… Sans
parler de la salubrité, terme banni des dictionnaires locaux. On retrouve tout
cela brillamment exposé dans ce roman à découvrir et à méditer, que l’on
envisage, ou non, un périple sur le sous-continent.
Publié aux Editions Buchet Castel - 320 pages