Car, ce délicieux
roman de Barnes et assurément l’un de ses meilleurs, est un livre avant tout
sur la mémoire et la façon dont, avec le temps et la distance, nous finissons
par agencer les choses vécues pour composer avec, nous rassurer ou tout
simplement continuer de vivre et d’avancer.
Tony, la
soixantaine, est désormais à la retraite. Une retraite à l’image de son
existence, sans relief particulier autre que de ne pas faire de vague, de se
confondre dans le paysage pour devenir anodin, insipide. Il vit seul, en
harmonie avec son ex-épouse, et en contact régulier avec leur fille unique,
mariée à son tour et mère de deux enfants qu’il voit de temps en temps. De sa
vie passée, il a fait un trait, fin car il n’y avait de toute façon pas
grand-chose à biffer ou à cacher.
Et puis, un jour,
tout est remis en cause parce qu’il reçoit un courrier d’un notaire lui
indiquant qu’il est le bénéficiaire d’un petit héritage au contenu d’autant
plus troublant qu’il est provenance de deux personnages dont il avait tout
oublié ou presque, parce que croisés du temps de sa jeunesse et totalement
perdus de vue depuis.
Du coup, les
images, les séquences, les souvenirs remontent, convoqués pour tenter de donner
un sens à ce qui paraît n’en avoir aucun. Du coup aussi, l’irrépressible besoin
de renouer avec celle qui fut l’amour de sa jeunesse, perdue de vue depuis
quarante ans, cette fille qui a dansé un soir pour lui, avant que de le lâcher
dans des circonstances douloureuses que nous allons peu à peu découvrir, se
fait jour d’autant qu’elle est la détentrice d’une partie de l’héritage qui lui
revient.
Bribe par bribe,
collant les séquences d’un passé reclus au tréfonds de la mémoire parce que
souvent trop douloureux avec des morceaux de vie du présent qui viennent
troubler une petite existence tranquille, Julian Barnes nous conte une histoire
noire, à l’humour très british, qui nous montre que, parfois, nos actes,
surtout lorsqu’ils ont été oblitérés par le temps, peuvent avoir des
conséquences parfaitement insoupçonnées. Finir par l’apprendre et le comprendre
par soi-même quarante ans plus tard peuvent se révéler de puissants
traumatismes.
Saluons le
travail de traduction (mis à part le titre mais peut-être imposé par un éditeur
peu scrupuleux de respecter le sens originel) qui rend parfaitement l’humour et
le style très travaillé sous des apparences de simplicité, de l’auteur. Voici
un livre superbe d’ailleurs récompensé par le prestigieux Man Booker Prize à sa
sortie.
Publié aux
Editions Mercure de France – 2013 – 193 pages