Walter Isaacson s’est
fait une spécialité des biographies et ses ouvrages sur Benjamin Franklin,
Albert Einstein ou bien encore Henry Kissinger font, encore aujourd’hui,
autorité. A lire ce gros pavé sur l’un des hommes qui marquera probablement
pour longtemps l’histoire encore très récente de la haute technologie et les
grandes épopées capitalistes de la Silicon Valley, on comprend pourquoi Jobs a
absolument tenu à ce que ce soit Isaacson qui réalise cette biographie.
Pourtant, l’auteur a
longuement hésité malgré l’insistance de l’épouse de Jobs et ce n’est qu’après
avoir reçu l’assurance de pouvoir écrire ce qu’il souhaitait, sans censure,
afin de donner une image la plus véridique possible sur une icône mondiale
qu’il a fini par accepter après bien des hésitations et des discussions.
Autant vous prévenir tout
de suite : une fois entré dans ce livre, vous serez fasciné au point de ne
plus arriver à le quitter, d’en rêver la nuit, d’être hanté par une homme qui
avait l’incroyable capacité de rendre possible l’impossible, d’exiger et
d’obtenir des autres le meilleur d’eux-mêmes, sans concessions, tout cela grâce
à ce que son entourage appelait son « Champ de distorsion de la
réalité ». Une capacité à vriller son regard dans le vôtre jusqu’à vous
faire plier, une volonté de fer de faire se correspondre le rêve et la réalité
même s’il fallait pour cela prendre des positions physiquement (au sens de la
science) ou philosophiquement virtuellement impossibles.
En suivant pas à pas
Steve Jobs, on comprend parfaitement ce qui a fait d’Apple et de Pixar deux
extraordinaires réussites. C’est en apprenant de ses échecs, en n’acceptant
aucun compromis, en plaçant l’art et la technologie à la croisée des chemins,
en imaginant de nouveaux usages qui allaient révolutionner le monde la
micro-informatique, du cinéma d’animation, de la musique, de la presse et de
l’édition, en choisissant une stratégie du tout intégré dans un monde fermé et
cohérent, celui d’Apple, en s’entourant systématiquement des meilleurs que Jobs
a forgé ses succès.
Alors, l’homme fut
invivable, mercurien, capable de toutes les manipulations pour arriver à ses
fins. Mais pour avoir côtoyé beaucoup de grands patrons dans le monde de la
haute technologie, je peux vous affirmer que c’est une caractéristique
quasiment indispensable pour balayer la concurrence et faire plier les
inévitables résistances aux changements qui sont les morts programmées des
entreprises évoluant dans un environnement volatile, complexe et jamais stable.
Ne portons donc pas de
jugement sur l’homme qui fut ce qu’il fut, avec ses travers nombreux et ses
immenses qualités de visionnaire, d’artistes, d’homme de marketing, de
négociateur redoutable et de meneur d’hommes. Gardons seulement en tête qu’il a
été l’un de ceux qui, avec une poignée d’autres à la même époque, nous ont fait
basculer du monde classique au monde numérique en plaçant le souci du beau, de
la perfection absolue au centre de son approche. Il fut aussi celui qui aima
passionnément son épouse grâce à laquelle, comme Gates et lui se l’avoueront
lors de leur ultime conversation, il ne devint pas fou, même si, souvent, il
lui rendit la vie impossible. Il fut celui qui tenta, avec des fortunes
diverses, d’être un père malgré une première fille qu’il abandonna, comme lui
le fut, avant que de renouer avec elle plus tard. Il fut un homme d’une extrême
complexité, plein de contradictions, déterminé à faire évoluer l’humanité grâce
à des produits qui rendent la vie plus belle parce que plus riche en
expériences que fournissent un bataillon de produits léchés, beaux, simples à
utiliser. Lui seul l’a fait avec autant de succès et en menant à bien cinq
transformations majeures dans la micro-informatique, le cinéma, la presse, la
musique et l’édition. Chapeau bas Mr Jobs et bravo à Mr Isaacson pour sa
biographie extraordinaire et indispensable !
Publié aux Editions JC
Lattès – 2011 – 669 pages