Voilà quarante ans que Stephen King y pensait,
avec plus ou moins de constance jusqu’à ce qu’il soit interpelé par un
lecteur-fan lui demandant quand on aurait des nouvelles de Dan Torrance, le
fils miraculeusement réchappé de l’incendie du terrifiant Overlook Hotel de
Shining, son roman culte.
Alors l’auteur à succès nous apporte enfin une
réponse assez magistrale avec Docteur Sleep. Il ne s’agit en aucun cas de
revisiter Shining, ni de le transposer dans une Amérique plus tardive et encore
plus décatie et décadente mais au contraire de donner à voir comment on s’en
sort, devenu adulte, quand, enfant, on a subi la violence d’un père alcoolique,
qu’on a assisté à des scènes horrifiques et que l’on a été hanté par le Don,
celui de voir ce que les autres n’aperçoivent pas, de pouvoir communiquer à
distance et avec l’au-delà, celui de la prémonition aussi.
Dan, pendant des années, a apporté une réponse
familiale à ces questions : la plongée dans l’alcoolisme pour endormir le
Don, s’abrutir quitte à ne cesser de hanter les routes, délaissant un emploi
précaire pour un autre plus loin, couchant au hasard avec des filles ramassées
dans des bars douteux au moins aussi paumées que lui. Du moins jusqu’au dégoût,
jusqu’à une expérience insupportable le reconnectant au passé qu’il cherche à
fuir et qui le poussera à se reprendre en main, à sortir d’une autodestruction
garantie.
Pour cela, il faudra une rencontre. Ce sera
celle d’un vieux train touristique et de son conducteur, le vieux Billy, qui
tout de suite, décide de faire confiance car il sait vaguement détecter le
personnage qui se cache derrière l’apparence de Dan. Et celle du responsable
technique de la mairie d’une petite bourgade de la Nouvelle-Angleterre,
lui-même ancien alcoolique et qui aura tôt fait de prendre Dan sous sa coupe et
de le mettre entre les mains bienveillantes des Alcooliques Anonymes.
Alors Dan réapprendra peu à peu,
difficilement, à devenir un humain. Oh, pas comme les autres car il a le Don
mais, désormais, il en fait usage essentiellement pour aider les malades en
phase terminale dans l’hospice où il travaille à plonger dans le grand sommeil
définitif, à les calmer face à l’angoisse de la mort imminente. D’où son
surnom : Docteur Sleep.
Pendant longtemps, le roman de King nous donne
ainsi surtout à voir un parcours qui fut familier à l’auteur. Celui d’un ancien
alcoolique hanté, de son combat face au démon, de sa lutte pour ne pas sombrer à
nouveau avant de trouver une lente réinsertion.
Du moins si l’on fait abstraction – difficilement
- des quelques connexions qui s’établissent ici et là entre Dan et une certaine
Abra, une toute jeune enfant qui elle aussi possède le Don mais à une puissance
insoupçonnée et qui, dès sa naissance, va établir un contact qui ne va cesser
de se renforcer avec Dan.
Alors, peu à peu, de façon haletante,
progressive et délicieusement manipulatrice, King va nous faire basculer du
champ du roman social à celui de l’horreur, de la violence et du Mal, nous
projetant dans un monde où d’apparents innocents vieillards passant leur vie en
camping-cars sont en fait un rassemblement de « démons vides »,
sortes de vampires qui traversent les siècles en se nourrissant du Don des
enfants qu’ils repèrent, traquent, enlèvent, torturent et tuent.
Commencera alors une chasse à mort entre deux
êtres en marge, Abra devenue une adolescente déterminée et Dan décidé à en
finir avec le reste de son passé, et une horde vampirique prête à tout.
A titre tout à fait personnel, n’étant que
très moyennement amateur de fantastique, cette deuxième partie et surtout la
fin du roman m’ont laissé un peu sur la touche du fait d’une accumulation
d’effets spéciaux et de circonstances peu vraisemblables. Les habitués du genre
y trouveront assurément leur compte.
Il n’en reste pas moins que Stephen King nous
livre un nouveau grand roman qui saura vous captiver pour quelques heures.
Attention, une fois commencé, difficile de le lâcher !
Publié aux Editions Albin Michel – 2013 – 587 pages