Une fois refermé cet étrange roman, on est en
droit de se demander quel était bien le propos de son auteur. A-t-il voulu nous
faire du « Houellebecq » et se lancer dans une sorte de roman trash
et sévère de la désespérance, dénonçant l’inévitable glissement de certaines
couches de notre société vers une exclusion délibérée ou non ? Son style
et le fonds le laissent souvent penser ainsi qu’un court passage d’un dialogue
improbable où il fait explicitement référence à celui qui fut un
révolutionnaire du roman contemporain.
Ou bien, Haenel appellerait-il explicitement à
la révolution avant qu’il ne soit trop tard, que notre société ne s’écroule par
elle-même pour ne promettre que des cendres dont, seule l’origine, reste aussi
inconnue que dangereuse, promesses de lendemains qui déchantent ?
S’appuyant sur ces mouvements populaires qui
éclatent un peu partout dans le monde, prenant exemple des « indignés »
venus d’Espagne et dont les récents bonnets rouges bretons n’ont été qu’une
nouvelle forme, régionale, puis nationale, d’expression d’un ras-le-bol de plus
en plus exacerbé, Haenel se met à rêver que le peuple est capable de prendre le
pouvoir, de descendre dans la rue pour imposer ses vues, mettre un terme à une
crise qui ne fait que fabriquer toujours plus d’exclusion, de laissés pour
compte au profit d’une infime minorité. Mais pour en faire quoi ?
Car, ici, Haenel se contente d’imaginer la
vague construction d’une déferlante sociale et pré-révolutionnaire. Un homme a
décidé de vivre en retrait du monde au point de finir par s’installer dans la
voiture qu’un ami lui a prêtée. Par une succession de hasards, de rencontres,
de beuveries et d’orgies crûes dont rien ne nous est épargné, il finira par
rejoindre le cercle des « Renards pâles » qui n’est rien d’autre que
le Dieu anarchiste des Dogons du Mali. Ici échouent tous les sans-papiers, tous
les agités fortement imbibés qui rêvent de casser une société qui les proclame
ouvertement parasites et indésirables.
Il pourrait alors suffire d’un prétexte, ici
celui du décès accidentel de deux Maliens sans-papier pourchassés par la police
et finissant par se noyer dans la Seine, pour que tout s’embrase. Sans doute,
mais pour promettre quoi ensuite ?
Car c’est bien là la limite d’un livre
dérangeant, abrasif et sans concession, parfois saisissant comme la scène dans
laquelle un sans abri disparaît aspiré et broyé dans une benne à ordures,
déchet symbolique dont la société se débarrasse en catimini, mais qui n’imagine
rien après l’anéantissement promis. Promesse évasive d’une suite ou paresse d’écrivain ?
Publié aux Editions Gallimard – 2013 – 175 pages