Délaissant son
style habituellement plutôt élégant, Gavalda se lance à corps perdu dans une
langue des plus imagées, crue et explicite. La langue d’une sorte de
lumpenproletariat moderne, celle de Billie, une fille qui vient de la gangue,
celle des familles vivant dans des conditions des plus précaires, où l’alcool
fait office de principale nourriture et les coups de mode éducatif. Un univers
médiocre, repoussant et glauque où elle s’est trouvée plongée de force après
que sa mère l’eût abandonnée à l’âge
d’un an et avoir été confiée à une belle-mère acariâtre et encombrée de gamins.
La chance de
Billie sera de rencontrer Franky, un autre exclu comme elle. Sur les bancs de
l’école, ils se seront reconnus au premier coup d’œil mais il aura fallu des
années et des circonstances exceptionnelles pour que le fossé a priori
infranchissable soit comblé entre eux. C’est Marivaux qui les réunira, offrant
une scène qu’ils doivent interpréter ensemble devant le reste du collège. Cela
aurait pu être un de ces pensums régulièrement infligés dans nos établissements
scolaires. Ce sera une révélation protéiforme. Celle d’un ancien temps, de ses
codes et de ses mœurs. Celle de la culture alors que Billie ne vivait que dans
la sous-culture. Celle d’une intelligence, Franky sachant se mettre à la portée
de Billie pour lui faire appréhender un texte dans lequel elle va se
transcender. Celle enfin qu’à deux, ils sont capables de faire taire les profs
qui voient en Billie une ratée définitive et des camarades qui martyrisent
Franky parce qu’il est une « fiotte ».
Alors commencera
une relation spéciale entre ces deux lascars, sur laquelle Gavalda laissera
traîner une ambiguïté certaine (sauf à lire attentivement ce qui se passe entre
nos deux compères devenus adultes et désormais coincés au fond d’une crevasse,
pensant mourir, prétexte à ce que Billie se repasse en mode accéléré son
existence tapageuse). Une vie semée d’embûches où il faudra subir bien des
humiliations encore avant de trouver sa voie et continuer de croire en sa bonne
étoile malgré tout ce qu’il faudra endurer.
Dans un style
explosif et jouissif, Gavalda fait exploser les codes et bouscule au passage
les bien-pensants, celles et ceux de plus en plus nombreux qui voudraient voir
une société moins liberticide, les bobos et les systèmes. Ne reste que l’amour,
bizarre et lumineux, combustible essentiel qui permet à deux êtres que tout
condamnait à non seulement survivre mais se révéler, s’imposer, trouver leur
place et donner du bonheur à un monde qui leur vouait malheur. Une leçon
d’espoir et d’humanité à côté de laquelle il sera facile de passer si l’on se
laisse repousser par la langue ou que l’on reste à la surface des choses… Un
livre dérangeant en tous cas.
Publié aux Editions
Le Dilettante – 2013 – 224 pages