Louise Erdrich, née d’un
père allemand et d’une mère indienne Objiwa, s’est faite une sorte de chambre
d’écho des injustices et des exclusions dont les populations amérindiennes ont
encore à souffrir à notre époque. Non contentes d’avoir été exterminées par les
armées blanches à la fin du XIXème siècle, leurs droits ont été circonscrits à
l’intérieur d’un entre-lacis de règles, de lois, de coutumes et de restrictions
dont la complexité extrême limite les possibilités de réparation.
C’est précisément cela
qui est au cœur du dernier et sublime roman de Louise Erdrich. Comme nous
l’apprend un rapport d’Amnesty International, une femme amérindienne sur trois
sera victime d’un viol au cours de sa vie et, dans quatre-vingt pour cent des
cas, l’auteur, de race blanche, ne sera pas poursuivi… C’est ce qui va arriver
à une femme, Geraldine, un Dimanche de 1988. Inquiets de ne pas la voir
revenir, son mari et son fils de treize ans partent à sa recherche. Ils vont la
découvrir tétanisée au volant de sa voiture, en sang, brutalisée, en état de
choc après avoir été sauvagement violée. Une épreuve qu’elle se refuse à
commenter, s’enfermant dans un mutisme absolu, vivant recluse, refusant de
s’alimenter. Il faudra du temps pour accepter les choses, prendre du recul et
commencer, peu à peu, à parler.
Le mari étant le juge
tribal de la réserve indienne dans laquelle toute la communauté vit est bien
placé pour comprendre rapidement que le recours à la justice normale de son
pays se heurtera à bien des limites. Car la victime est indienne, le territoire
sur lequel le crime fut commis à la croisée de terrains sur lesquels des
juridictions et des lois différentes s’appliquent. Et, enfin et surtout, comme
le révèlera rapidement les enquêtes, l’auteur est blanc.
Du coup, la question du
pardon ou de la vengeance deviennent centrales. Quelle voie poursuivre entre la
résignation pour se reconstruire que prôneront Geraldine et son mari ou celui
de la vengeance qui obnubile le fils ? C’est dans le silence du vent qui
parcourt les plaines du Dakota Nord que les pensées se fraient un difficile
chemin entre ces deux extrémités.
Confronté sans y avoir
été préparé à la brutalité du monde des adultes, le fils de Geraldine bascule
sans transition du monde de l’enfance protégée à celui des adultes, des choix à
effectuer, de leurs manipulations, de leurs mesquineries, de leurs
dissimulations avec lesquelles il faut apprendre à composer et jouer.
En même temps qu’il
découvre les émois amoureux, l’hébètement que procure l’alcool, le pouvoir de
l’argent, le fils trouve la réponse qui lui paraîtra appropriée pour laver le
terrible affront fait à sa mère et à sa famille. C’est ce cheminement dans une
alternance d’apparente insouciance et de profonde lourdeur, de tension
omniprésente que nous conte avec brio Louise Erdrich à la façon d’une chronique
de la vie quotidienne d’une réserve indienne qui tente de vivre avec les
affronts qui lui sont faits en permanence.
Publié aux Editions Albin
Michel – 2013 – 462 pages