Il conviendra de prendre son temps pour lire ce long et
dense roman du grand écrivain américain qu’est Dan Simmons. Car c’est le temps
d’une vie qui s’écoule, celle de Papa Saha, « Collines Noires » en
langue indienne Lakota . Une vie commencée juste après la fin de la guerre de
Sécession et qui s’achèvera presqu’un siècle plus tard.
Mais, avant tout, « Collines Noires » est le roman
de l’Amérique. Un pays construit sur la quasi extermination des peuples indiens
qui occupaient le territoire et dont nous allons revivre les ultimes heures de
gloire ainsi que leur écrasement définitif. Un pays passé de l’état de quasi
nature, foisonnant de bisons et d’animaux sauvages à celui d’un alignement
infini de champs et de ranches immenses entièrement dévolus à l’élevage
intensif bovin et à ses ravages écologiques. Un pays, comme le souligne
superbement et de façon allégorique dans la toute fin de son roman Dan Simmons,
en proie au dérèglement climatique de façon de plus en plus violente et
évidente et qui nécessitera probablement des ajustements violents et durables
du style de vie dans les années à venir.
Au-delà de ces considérations écologiques qui habitent de
façon plus ou moins sous-jacentes ce très beau roman, Dan Simmons réalise ici
une odyssée américaine à la fois magistrale, ambitieuse et héroïque qui tiendra
le lecteur en haleine pour de longues, très longues heures, de lecture.
Tout commence en cette journée de Juin 1876 sur le champ de
bataille de Little Big Horn. Croulant sous un déferlement d’Indiens de diverses
tribus qui ont enfin fait alliance, le 7ème Régiment de Cavalerie du
Général Custer sera massacré et celui que les Sioux surnommaient Cheveux-Longs,
pour sa chevelue blonde et bouclée, tué et scalpé. Un jeune garçon de onze ans
aura juste eu le temps de se glisser jusqu’à cet ennemi à la fois craint et
honni avant qu’il n’expire, un temps suffisant pour que l’esprit de Custer
s’installe dans celui du jeune Indien qui n’est autre que Papa Saha.
C’est là l’une des grandes idées de l’auteur que de faire cohabiter
ces deux cultures, ces deux peuples que tout oppose au sein de son personnage
principal. Tout au long du roman, l’esprit de Custer ne cessera d’intervenir à
des moments clé de la vie de Papa Saha, engageant de longues conversations
entre celui que la supériorité des armes, de la technologie et la détermination
de la race blanche et sa victime symbolique auront fini par intégrer de force
comme un élément de la nouvelle société américaine.
Faisant fi de toute chronologie, Dan Simmons nous promène à travers
les grandes prairies herbeuses du Dakota pour nous y conter la vie des tribus
indiennes, leurs coutumes, la guerre à mort entre l’envahisseur blanc et les
peuples établis là depuis des milliers d’années. Puis nous fait vivre
l’Exposition Universelle du début du vingtième siècle à Chicago et ses
prouesses technologiques. Mais c’est aussi et surtout sur le mont Rushmore que
se concentrera l’essentiel du récit et des rêves plus ou moins éveillés
imaginés par l’auteur. Ce mont sacré pour les Indiens, celui des
« Collines Noires » où Papa Saha, par une sorte d’ironie de
l’Histoire, se trouve enrôlé comme dynamiteur en chef pour contribuer au projet
pharaonique d’un sculpteur mégalomaniaque, Gotzun Borglum. Ce projet donnera
naissance à l’émergence des bustes de quatre présidents des Etats-Unis,
symboles définitifs et hautains de la main-mise de la race blanche sur le
territoire indien. Un symbole que Papa Saha tentera d’abattre aussi ce qui
finit de faire le sel d’une histoire aux multiples rebondissements et qui nous
donne à voir l’Histoire récente des Etats-Unis, de ses contradictions et de ses
contractions.
Un livre au souffle épique, superlatif et à lire
absolument !
Publié aux Editions Robert Laffont – 2013 – 537 pages