Premier roman d’un jeune auteur de 28 ans, « Les
insomniaques » constitue une entreprise littéraire assez ambitieuse. C’est
à une cinquantaine d’années d’histoire de France, de l’immédiat après deuxième
guerre mondiale au début des années quatre-vingt-dix, une fois le pays basculé
dans le socialisme que s’attaque notre jeune écrivain. Un demi-siècle secoué
par trois guerres désastreuses, traversé par des courants politiques et
idéologiques aussi radicalement opposés que furent le Gaullisme ou le
Socialisme et qui finit par voir l’avènement d’une société nouvelle, aux
rapports sociaux et aux conventions radicalement redéfinis.
Le propos est d’autant plus ambitieux que c’est à travers
les yeux et la vie quotidienne d’une famille de vieille noblesse qui se partage
entre un hôtel particulier à Paris et un château du XVIIème en Pays de Loire,
qu’on choisit de tracer les évolutions d’une France dont les sinuosités se
retrouvent dans les errements des membres d’une vieille noblesse qui n’en finit
plus de se déliter et de se ruiner.
C’est donc, avant tout, une saga familiale, celle des
Argentières, qui nous est ici contée dans un luxe de détails qui, d’ailleurs,
finit par être encombrant. L’histoire commence avec le décès brutal du
patriarche, suite à une chute de cheval, Jean-André d’Argentières, marquis de
son état, lors d’une cavalcade dans son domaine.
Elle va nous promener sur trois générations dont les deux
dernières marquent la fin d’une époque, celle de la noblesse locale qui régnait
sur les paysans et s’étaient accaparées les fonctions républicaines afin de
s’assurer de la maîtrise des évènements. Mais les mariages avec des roturiers,
pas forcément riches, puis la dilapidation du capital, faute d’une saine
gestion, conjugués aux dissensions et aux errances finiront par emporter les
titres de noblesse et forcer l’adaptation des nobles fiers de leur lignée à une
vie plus contemporaine et plus réaliste.
La cohorte de personnages mis en scène sert tout à fait ce
propos. Elle dit l’enracinement dans le passé, l’incapacité à se projeter
différemment dans un monde qui bouge, l’attachement aux apparences. Elle
dépeint aussi, souvent savoureusement, les inimitiés, voire les haines, qui
opposent les fratries, pour des questions d’héritage ou de principes.
Tout cela est fort bien écrit quoiqu’avec une certaine
préciosité et un côté très Vieille France. Cependant, on se perd souvent dans
les personnages et il faut recourir fréquemment à l’arbre généalogique, fourni
en début d’ouvrage, pour retrouver les parentés.
Le principal défaut du livre reste au fond son épaisseur,
plus de six cents pages assez denses. C’est beaucoup trop quand le propos, pour
sympathique qu’il soit, n’est pas servi par une verve ou une intensité qui
sauraient maintenir une attention qui, du coup, se relâche dangereusement.
Pourquoi l’éditeur n’a-t-il pas exigé de sombres coupes et
des simplifications ? Cela reste un mystère. Le livre y aurait
fortement gagné en impact et en qualité.
A déguster alors comme un thé longuet, délicieusement servi
dans des porcelaines surannées, dans un
salon qui se défait lentement au cours d’une longue après-midi qui s’étire
lentement.
Publié aux Editions Philippe Rey – 2009 -603 pages