Voici l’archétype du roman Jaenadien, celui, si vous ne
deviez en lire qu’un, qui s’impose comme une évidence. A la fois parce que
c’est le plus intime, le moins trash et le plus drôle des romans de cet auteur
à part et que nous adorons et parce que c’est un roman qui condense les
obsessions, les clichés, les références de l’auteur et que l’on retrouvera
indéfiniment dans ses romans plus tardifs.
Comme toujours, source inépuisable d’inspiration pour cet
écrivain, c’est la trilogie « lose, alcool et sexe » qui sert d’épine
dorsale. Pour lui donner vie, dans ce qui ne constituait que son premier roman,
l’auteur a choisi de mettre en scène le pauvre type parfait, gentil,
pusillanime, éternel hésitant et qui ne s’assume pas.
Un mec qui se trouve quelconque, célibataire (thème
essentiel de l’auteur à l’exception de son tout dernier roman où le loser s’est
rangé tout en restant un loser), qui couchote gentiment, sans jamais
s’attacher. Un gars qui vit d’expédients, traducteur de manuscrits sans intérêt
(à nouveau un thème Jaenadien) puis pronostiqueur turfiste qui ne connaît rien
aux chevaux et qui émarge dans un journal de seconde zone. Un mec qui se cuite
entre amis en se livrant à des duels de cuisses de fer (on retrouvera sous une
vingtaine de pages sublimement drôles ces duels et d’autres encore plus
croustillants dans « Vie et mort de la jeune fille blonde »). Un mec
qui ne s’intéresse à rien de particulier, qui vit de peu, se contente de peu,
ne dérange pas vraiment grand monde.
Et puis son monde va s’écrouler lorsque notre Havlar Sanz
(c’est lui) va tomber par hasard sur la femme de sa vie, Pollux Lesiak (nouveau
thème Jaenadien, le choix des noms qui doit être décalé, marquant un brin de
ridicule ou de prétention, sortant de l’ordinaire car, rien, absolument rien
n’est ordinaire dans l’univers Jaenadien).
Lui sort d’une garde à vue rocambolesque et narrée à se
tordre les côtes, elle se promène trempée, hagarde, un tabouret à la main. Mais
voilà, au moment où il croyait l’avoir emballée, elle se fait la malle dans de
nouvelles circonstances que seule une imagination débordante peut envisager.
Commencera alors une course effrénée vers cette femme rêvée,
son idéal féminin, celle qui le fait fantasmer, celle qui l’empêche de dormir,
celle qui le pousse à tomber dans la dépression tant elle lui manque, celle qui
le mène au ridicule, au mépris et à la dévalorisation de soi.
Ils finiront par se retrouver dans d’improbables
circonstances et à vivre une torride histoire d’amour, sans les scènes trash,
presque insoutenables de « Nefertiti dans un champ de canne à sucre »
(son roman suivant). Une histoire qui finira tragiquement mais l’aura
transporté vers l’âge adulte, en faisant qu’il se prenne en charge et s’assume.
Le récit est douloureux mais comme Jaenada n’a pas son
pareil pour se moquer de ses personnages qui ne sont que des doubles de
lui-même, menacés par le tabac, la drogue, sortes de Saint-Bernard des putes
sidéennes, piliers de bar et éternels pusillanimes, on rit beaucoup et savoure
la prouesse d’une écriture à part, entrecoupée de parenthèses qui
s’enchevêtrent pour nous entrainer dans les circonvolutions des esprits
dérangés et douteux des personnages attachants et systématiquement paumés de
notre auteur.
Ce magnifique roman fut récompensé par le Prix de Flore à sa
sortie en 1997.
Publié aux Editions Julliard – 1997 – 335 pages