Après s’être illustré dans « Partie de pêche au
Yemen », très remarqué et qui devint rapidement un best-seller mondial,
l’inclassable Paul Torday nous livre avec son deuxième roman, « Descente
aux grands crus », une sorte de farce incroyablement sournoise et
douloureuse, sans concession pour les personnages typiquement britanniques
qu’elle met cyniquement en scène.
En dépit d’une écriture d’une grande simplicité, Torday a la
capacité immédiate à solliciter l’attention de son lecteur, à l’attirer dans
l’univers qu’il met rapidement en place, grâce à l’originalité des situations
envisagées ainsi qu’à la densité psychologique de ses personnages.
Car, au final, c’est bien le processus psychologique global
qui est mis en scène pour décrire par le menu ce qui va faire de Wilberforce,
un trentenaire à qui jusqu’ici tout avait réussi, une épave ravagée par
l’alcoolisme. Comme, en outre, Torday illustre avec la juste dose, les
processus de la chimie du cerveau qui conduisent à l’auto-destruction de
Wilberforce, on assiste, fasciné, à ce qui constitue au fond un suicide plus ou
moins conscient d’un homme dont on comprend qu’il a tout perdu, à commencer par
le sens à donner à une vie qui fut périodiquement violemment, presque
sismiquement, ébranlée par des ruptures de sens, mal préparées, subies ou
provoquées, souvent excessives. Au fond,
Wilberforce devient la victime excessive d’un excès d’excès.
La grande originalité et la force du récit tiennent au parti
pris narratif. Au lieu d’avoir un discours narratif qui avance, Torday choisit
d’organiser son roman en quatre grandes sections qui remontent dans le temps de
2006 à 2002.
Sur ces quatre années, un processus inéluctable va se mettre
en œuvre faisant de Wilberforce ce qu’il est devenu, sans espoir de retour.
Quatre années durant lesquelles la vie du personnage principal va se trouver
chamboulée. Quatre années au terme desquelles, il se retrouve presque par
hasard, en tous cas sans s’y être préparé, à la tête d’une cave de cent mille
bouteilles qu’au lieu de gérer et de faire fructifier, il va se mettre à boire
un peu, puis de plus en plus jusqu’à descendre un minimum de cinq bouteilles
par jour.
Comment cet homme sobre, qui détestait l’alcool, qui était
tout entier consacré à son entreprise qu’il avait créée avec succès a-t-il pu
en arriver là ? C’est à cette question fondamentale que Torday apporte une
réponse troublante qui démontre que la vie de chacun de nous peut tout à coup
sombrer dans une spirale infernale faute de pondération, de préparation, de
force de volonté minimale surtout si elle subit les assauts inéluctables que la
vie nous réserve.
Ces quatre années firent passer Wilberforce du statut
d’entrepreneur à celui de dilettante, de célibataire à marié puis veuf,
d’asocial à celui d’un garçon entrainé malgré lui dans les excès de
l’aristocratie anglaise, de cadre sans bien à celui d’un indépendant riche et
qui n’a pas su gérer sa fortune.
Quatre années pour se détruire, tout perdre et sombrer dans
une vie qui gomme la réalité mais reste persécutée par des scènes imaginaires,
fabriquées par un cerveau qui se nécrose au point d’effacer toute frontière
entre la réalité et les constructions de l’esprit.
Il en résulte un livre fascinant, noir et troublant, un de
ces livres que nous aimons sur Cetalir.
Publié aux Editions JC Lattes – 2009 – 332 pages