Il est encore
trop tôt pour dire si Martin Mosebach deviendra le Thomas Mann de la société
allemande de ce début de XXIème siècle. Toujours est-il qu’il est impossible de
ne pas penser à son aîné à la lecture de ce roman social, complexe et aux
multiples enchevêtrements.
Un roman qui part
d’un prétexte, anodin et à peu près sans importance car, à la fin, il importe
peu de savoir si l’épouse à laquelle son mari confie le coup de foudre qu’il a
éprouvé un jour pour une jeune inconnue dans un train et qu’il pensait, à tort,
ne plus revoir, prendra mal ou non cette confession.
Ce n’est pas
cette passion et ses circonvolutions qui sont le thème du roman mais simplement
la trame sur laquelle repose l’analyse acérée des grands et petits maux de la
haute bourgeoisie allemande. Un microcosme obnubilé par la puissance qu’apporte
l’argent, soucieux de préserver ses intérêts mais surtout ses apparences, celle
d’une unité, surtout si elle est familiale, malgré les déviances, les brebis
galeuses, les coups de canif répétés au conformisme ambiant.
Ce sont ces
fissures qui deviennent des lézardes abyssales qu’explore en détail Mosebach,
sans concession ni tendresse pour ses personnages aux travers bien humains,
faits beaucoup plus de petitesse que de noblesse. L’amitié compte peu quand
elle doit être sacrifiée aux apparences. La loyauté familiale doit survivre à
tout, y compris aux pires trahisons.
Ce théâtre
presque Brechtien se déroule souvent dans un grand appartement sous les yeux d’un
cacatoès blanc acheté pour servir de symbole vivant de la beauté, sorte
d’esthète emprisonné pour le plaisir un peu dédaigneux de contemplateurs qui
finissent par l’oublier. Plus l’oiseau devient malgré lui le témoin des
déviances de ceux qu’il croise malgré lui, enfermé dans sa cage, plus il plonge
dans la mélancolie et la folie au point qu’il en finira mal, devenant une sorte
de victime expiatoire d’un microcosme qui évacue allégoriquement ses péchés
capitaux.
Lire ce roman
nécessite un effort certain : celui d’accepter la profusion des
personnages, de jongler avec des époques, des lieux et des situations qui se
chevauchent, de se laisser perdre dans un réseau d’histoires qui finira par
plus ou moins se démêler avec un modeste coup de théâtre final. Pas forcément
un immense roman, comme pourraient le laisser supposer les commentaires
dithyrambiques de la jaquette, mais un roman qui compte.
Publié aux
Editions Bernard Grasset – 2013 – 379 pages