Margaret Drabble,
à soixante-dix ans, avait déclaré renoncer à l’écriture et se couler dans une
paisible retraite. Cinq ans plus tard, la parution de son dix-huitième roman,
celui-ci, vient démentir ses dires pour nous donner l’un de ses meilleurs
livres.
« Un bébé
d’or pur » est une figure de style imaginée par la femme de lettres Sylvia
Plath dans l’un de ses poèmes. Une expression douce et lumineuse pour parler de
ces enfants qui sont différents des autres simplement parce qu’attardés ou
handicapés d’une manière ou d’une autre. Du coup, Margaret Drabble a concocté
ici un bien beau roman sur l’innocence, sur la façon dont la venue d’un tel
être, qu’il faut aimer et protéger, bouleverse les vies de ceux qui les accueillent,
des renoncements auxquels ils obligent irrémédiablement.
C’est une amie de
la famille qui tiendra ici la plume et nous contera ce qu’elle aura vu, perçu
ou entendu des vies qu’elle aura côtoyées et dont elle aura retenu les
confessions partielles, intimes, magnifiquement douloureuses et dignes.
Du coup, c’est
l’histoire contemporaine de l’Angleterre qui défile aussi sous nos yeux, des
années soixante à nos jours. Une histoire marquée par la libération des femmes
qui auront appris à se méfier des hommes au point de s’en passer, comme Jess,
cette ethnologue de formation, devenue journaliste indépendante par nécessité,
qui élève seule sa fille Anna, son bébé d’or pur. Du père, son professeur à la
fac, nous ne savons presque rien si ce n’est qu’il fut veule, absent mais bon
amant. D’ailleurs les hommes ne font que de brefs passages dans ce livre où des
femmes ordinaires doivent apprendre à faire face à des situations
extraordinaires. Ils sont tolérés pour un moment, plus ou moins bref, s’ils
amusent, contentent les besoins du corps, apportent un réconfort avant que
d’être gentiment et proprement écartés.
Pendant que
l’Angleterre voit la pilule arriver, bouleversant le rapport de force
homme/femme, et la spéculation immobilière devenir galopante au point de faire
des propriétaires de petites maisons dans un coin de banlieue londonienne
verdoyante des multimillionnaires potentiels, Jess consacre sa vie à sa fille
Anna. Une fille qui malgré l’âge qui avance, reste et restera dépendante de sa
mère car incapable de lire, d’écrire, de comprendre ou de faire le mal,
toujours souriante quelles que soient les circonstances. Lorsque l’éloignement devient une nécessité
pour se sociabiliser, enseigner les gestes et les comportements fondamentaux,
il n’est que le prétexte à des retrouvailles fusionnelles que rien, et surtout
pas un homme, ne pourra entamer.
Il ne se passe
finalement pas grand-chose dans ce roman qui prend son temps, celui de deux
vies intimement liées ; deux vies qui s’écoulent pendant que la société se
transforme et rend progressivement « normal » ce qui apparaissait au
début comme un comportement pour le moins inhabituel, celui d’une mère
célibataire élevant seule sa fille attardée.
Avec autant
d’intelligence qu’elle en donne à ses personnages tous issus de milieux
intellectuels, capables d’analyser ce qui se passe en eux et autour d’eux,
Margaret Drabble nous livre un roman touchant, sincère et simplement beau.
Publié aux
Editions Christian Bourgeois – 2014 – 434 pages