Dans ce court recueil de nouvelles, Scholastique Mukasonga
décrit avec pudeur et sensibilité la douleur de devoir s’exiler pour échapper
aux massacres ethniques qui ont frappé le Rwanda.
Elle donne à voir aussi et surtout comment le Rwanda en est
arrivé à une telle situation à travers de courtes histoires qui illustrent à
traits plus ou moins esquissés, de façon plus suggérée et voilée qu’explicite
comme s’il s’agissait encore de n’offenser personne, la responsabilité de la
puissance belge occupante.
On y comprend le jeu des alliances qui se sont noués sur un
fond de racisme aussi bien des blancs envers les noirs que des ethnies entre
elles. On en perçoit la fragilité extrême que le moindre changement d’orientation
ne manquera pas de précipiter à bas pour semer alors sa suite de malheurs et de
chaos.
En remontant aux décennies qui ont précédé le drame et son
million de morts, elle nous suggère que tout était déjà en place, que la
nouvelle religion imposée par la puissance occupante portait en soi, par sa
négation des traditions, des cultes ancestraux et des croyances vernaculaires,
un terrible revers, un effet boomerang prêt à frapper sans discernement.
Une fois encore, ce qui fait le charme de ces nouvelles
c’est que tout ceci est abordé par le biais, suggéré au travers une série de
sorte de petits contes africains qui nous font mieux connaître le pays dont
elle vient. On peut les lire pour ce qu’ils sont mais ils portent bien plus que
ce qu’ils racontent au premier degré.
Au moment où elle est contactée par le fils de Françoise Sagan pour écrire un livre sur sa mère, dix ans après sa mort, Anne Berest traverse une difficile – mais désormais banale – épreuve, celle de se voir quittée par le père de sa fille et de se trouver confrontée à un divorce douloureux.
Elle accepte très vite, lâche le roman qui était en cours et se plonge dans ce qui va devenir Sagan 1954. Il ne faut surtout pas voir dans ce livre une énième biographie de celle qui devint un phénomène littéraire mondial et la femme française sans doute la plus connue à l’étranger de son temps.
Sagan 1954 est bien sûr, entre autres, la narration des quelques mois qui précédèrent et suivirent la parution de « Bonjour tristesse », avant que Sagan ne devienne Sagan, que les fêtes, la vie mondaine, les voitures et les excès en tous genres ne l’emportent. Mais c’est aussi l’histoire d’une amitié entre une femme morte et une jeune femme du début du vingt-et-unième siècle, une amitié qui se construit à distance, à travers les découvertes, les rencontres de celles et ceux qui ont connu Sagan et parce que le sujet de son livre finit par parler à son auteur.
C’est grâce à Sagan qu’Anne Berest réapprend progressivement à vivre, qu’elle ose à nouveau sortir, flirter, séduire, aborder par hasard un jour Jean Echenoz dont elle vient de lire la biographie sur Ravel. C’est ce mélange de biographie, d’autofiction, de confessions intimes, de réflexions sur la vie, ses mystères, ses surprises, ses peines et ses joies qui font le charme indéniable d’un livre qui vous enveloppe, vous prend dans ses bras.
On y contemple un tableau forcément partial, mais juste, de la vie de la société française dans les années cinquante, on assiste dans les coulisses de l’édition aux étapes qui précèdent la sortie d’un premier livre en même temps qu’on y suit les tribulations d’une jeune provinciale moderne qui tente de s’accommoder d’un monde parisien alors qu’elle cherche un nouveau sens à sa vie. Il y a là comme une grande douceur, une sincérité qui m’ont particulièrement touché et ont fait que je n’ai pas pu abandonner ce beau livre avant que de l’avoir lu d’une traite.
Il semble que le fait de se voir décerner le « Prix
Décembre » soit décidément conditionné par l’engagement de l’auteur à
délivrer une littérature d’avant-garde. Et comme toute activité d’avant-garde,
cela ne signifie pas pour autant nécessairement la garantie d’un récit excitant
ou gardant, à tout le moins, l’attention du lecteur plus ou moins victime de
novations pas toujours heureuses.
En tous cas, je ne peux pas dire avoir été une
« fashion victim » de cet « Univers, Univers » de Mr
Jauffret. Bien au contraire. J’avoue même m’en être heureusement débarrassé
largement avant une fin qui aurait tout aussi bien pu intervenir quelques
centaines de pages plus tôt.
L’approche proposée était pourtant intéressante. Une femme
entre deux âges se trouve dans l’obligation de faire cuire un gigot dans son
four peu de temps avant de recevoir un couple de vagues amis plus ou moins
barbants. Comme elle est franchement dépressive, Régis Jauffret saisit ce
prétexte futile pour donner libre cours à une variation intelligente sur les
multiples vies que ladite épouse et ménagère fait défiler, ou que l’auteur
décide de faire décider, dans la tête de son personnage. Or, comme l’auteur a
une imagination débridée, le récit coule un peu comme de l’écriture
automatique, une idée en chassant une autre, un détail appelant une nouvelle
interprétation.
De ce fait, le personnage change de nom souvent plusieurs
fois par ligne, toujours plusieurs fois par page, épouse des hommes imaginaires
ou fantasmés, meurt de mille et une façons pour toujours ressusciter plus
dépressive encore qu’elle ne l’était quelques lignes auparavant. C’est
brillant, au début du moins.
Bien sûr, Jauffret nous avait prévenu dès le départ que ce
livre n’avait d’autres vocations que « d’exister à la place de rien,
l’espace d’un instant perdu au milieu de l’éternité ».
Le problème cependant est qu’à force de tourner en rond, la
force de l’effet se dilue au point d’en devenir insipide. Il est louable de
vouloir surprendre son lecteur, condamnable que de s’acharner à le perdre. Au
bout du compte, ne subsiste que le rien, le quasi-néant de la littérature.
Publié aux Editions Verticales – 2003 – Prix Décembre 2003 -
609 pages
Il faut du
courage pour traverser une dépression, l’affronter, y survivre, s’en sortir. Et
au moins autant de courage, ensuite, pour accepter d’en parler ouvertement
alors que, trop souvent, ce qui est une véritable maladie, un effondrement
complet de la personnalité engendré par un déséquilibre profond de la chimie du
cerveau est socialement mal accepté. Combien de fois, n’entend-on pas dire au
sujet de dépressifs qu’ils pourraient s’en sortir avec un peu de volonté…
Céline Curiol est
passée par là. A l’été 2009, elle fut victime d’une grave dépression dont elle
ne dit pas vraiment l’origine si ce n’est que l’on comprend que le décès d’un
père et une rupture amoureuse figurent certainement parmi les multiples causes
d’un mal-être profond.
Cinq ans plus
tard, elle se décide à témoigner à la fois par souci de permettre à ses
lecteurs de comprendre que cela peut arriver à n’importe qui n’importe quand
mais aussi comme une forme d’ultime catharsis, comme l’expulsion symbolique
finale, verbalisée de façon très structurée, d’un mal qu’il convient d’exterminer.
Chercher dans ce
livre une auto-confession serait une erreur. Derrière, autour devrais-je dire
surtout, des courts passages véritablement personnels et où l’auteur se livre
se trouvent surtout de très nombreuses réflexions et citations sur l’histoire
et la place de la dépression dans notre société occidentale et la façon dont
elle a été comprise, adressée et traitée au fil du temps. Du coup, le livre
demande une véritable attention de son lecteur d’autant que la femme de lettres
s’y révèle d’une fulgurance intelligence, d’une culture pantagruélique
traduisant la volonté farouche de comprendre ce qui lui est arrivé pour l’accepter
et le combattre à jamais.
Un très beau
livre pour un public prévenu par l’exigence qu’il requiert.
Yoshida-san est un écrivain japonais à succès âgé d’une
quarantaine d’années. Il est considéré comme l’un des principaux représentants
d’une lignée de romanciersqui
s’acharnent à dépeindre le Japon contemporain dans ce qu’il a de plus déroutant
y compris pour ses propres habitants. Il fut récemment récompensé de
l’équivalent du Prix Goncourt local.
« Parade » est le dernier roman de Yoshida paru et
traduit en France. Sa structure est assez originale et déstabilisante. L’auteur
choisit en effet de traiter du sujet de la colocation, phénomène qui tend à
s’accroître au Japon pour cause de rareté de l’espace et de pression sur les
prix. Un sujet qui permet également de parfaitement donner à voir les limites
inhérentes à la cohabitation, chacun des occupants du logement, digne
représentant de la nouvelle génération qui cherche ses marques dans un pays qui
part largement à la dérive, vivant à côté plus qu’avec les autres membres de la
petite communauté.
Pour cela, l’auteur choisit de donner la parole aux cinq
personnages qui se partagent un petit appartement composé de deux chambres (une
pour les filles, une autre pour les garçons) et un petit salon. Des personnages
qui tous fuient quelque chose, leur origine provinciale, un sens à donner à une
vie, leur angoisse de devoir s’assumer et qui, pour certains, recèlent un
secret qui va se dévoiler, tantôt brusquement, tantôt lentement.
Ryôsuke est un étudiant dilettante qui recule le plus
longtemps possible le moment de passer dans le monde adulte et professionnel.
C’est le plus transparent de la bande, serviable, toujours prêt à dépanner au
volant d’une quasi épave qui ne peut rouler plus de dix kilomètres sans tomber
en panne. Il dépeint ses camarades comme il les perçoit, sans concession et
sans illusion.
Kotomi est une belle jeune femme qui ne fait strictement
rien de ses journées. Elle passe son temps reclus dans l’appartement, accoutrée
d’un survêtement, dans l’attente fébrile d’un appel de son amant, jeune acteur
à la mode de série télévisée sentimentale. Sa vie est aussi vide que son
esprit. C’est l’archétype de l’adulte enfant, de la personne qui ne pourra
vivre sans être béquillée par une autre pour la prendre en charge.
Mirai est la plus frivole des femmes de cette communauté.
Elle collectionne les aventures et les beuveries qui sont autant de prétextes
pour maquiller la série d’échecs qui semble caractériser sa vie. Dessinatrice
et maquettiste de formation, elle végète comme employée d’un magasin de
couleurs et vit la nuit à la recherche de l’extraordinaire qui la fera sortir
de cette vie fondamentalement absurde et suicidaire.
Saturo est un jeune homme de dix huit ans qui va venir
rejoindre inopinément le quatuor (avec Naoki dont nous parlerons plus bas),
ramené un soir d’ivresse et d’inconscience par Mirai. Saturo est un
« travailleur de la nuit » : il vend son corps aux mâles en
quête de chair fraiche. Le jour, il dort et finance à fonds perdus les besoins
de la communauté qui, en retour, le prend en charge en lui donnant une raison
d’exister.
Naoki, enfin, est le plus âgé de la bande. En apparence,
c’est le plus stable, celui dont on recherche les conseils, celui qui a un
emploi stable dans une maison de distribution de films. En fait, c’est le plus
fébrile, le plus fragile de la bande en même temps que le porteur d’un lourd
secret dont son entourage se doute mais dont il se détourne avec pudeur.
On pensera à Perec en lisant « Parade », dans un
style toutefois considérablement appauvri et un format densifié. On sortira mal
à l’aise de cette lecture, au moins autant que chacun des protagonistes de
cette petite musique. J’avoue toutefois ne pas avoir été captivé par ce livre
qui m’a laissé profondément sur ma faim.
Publié aux Editions Philippe Picquier – 2010 – 261 pages