Pour la première fois
depuis qu’il est publié, Olivier Adam renonce à parler à la première personne
dans son dernier roman « Peine perdue ». C’est à vingt-deux
personnages, hommes et femmes, jeunes – pour la plupart – ou plus âgés qu’il
donne la parole dans un roman choral où chaque chapitre illustre, éclaire le
mystère qui agite la petite station balnéaire de la côte méditerranéenne où
tout se déroule.
On peut alors lire le
roman d’Olivier Adam pour ce qu’il est de prime abord : un roman noir qui
commence avec Antoine, un jeune trentenaire, incapable d’être devenu adulte,
gloire locale du foot, un Zidane qui ne l’aura jamais été faute de constance,
d’application et de réelle volonté. Alors, au lendemain d’un match où il aura
filé un coup de boule à un défenseur adverse l’ayant taclé un peu sévèrement,
on va le retrouver, quasiment mort, le crâne défoncé à coups de batte de
baseball. Qui a fait cela et pourquoi ? Qui a déposé devant l’hôpital
Antoine tabassé dans le camping dont il retapait les mobile-homes ?
Va-t-il s’en sortir ou laisser un jeune fils orphelin ?
L’histoire va se
composer, se complexifier avant de se démêler au fur et à mesure que la vingtaine de personnages,
liés de près ou de loin à Antoine, fasse son entrée en scène. Tour à tour, dans
une écriture qui a gagné en maturité, moins directement à vif qu’avant, mais
portant une émotion toujours efficace parce que désormais parfaitement
contrôlée, Olivier Adam donne la parole à ces petites gens, cette France qu’on
n’interroge jamais, celle qui est au cœur de la crise et qui est en train d’en
crever.
Alors, si l’on prend ce
deuxième niveau de lecture, c’est le tableau d’un pays à la dérive que dépeint
avec force et intelligence un grand romancier. La vague amenée par la tempête
pourtant annoncée qui a déferlé sur la côté créant des ravages inédits et
emportant avec elle d’imprudents promeneurs n’est rien d’autre que la vague de
l’extrême droite radicale, celle du FN, dont les scores ne cessent de monter au
point qu’un jour, pas si lointain sans doute, on s’étonnera de se retrouver
sous un régime xénophobe, raciste et populiste de la pire espèce.
Olivier Adam nous
explique pourquoi en nous donnant à voir celles et ceux qui, peine perdue,
galèrent pour trouver un travail à plein temps correctement payé. Peine perdue
que d’essayer d’élever des gamins condamnés d’avance à une vie de seconde
classe. Peine perdue encore que de croire en une Gauche qui n’en a plus que le
nom. Peine perdue que de chercher à régler par soi-même ses comptes. Peine
perdue que de lutter contre plus fort, plus rusé, plus puissant ou plus méchant
que soi. La catastrophe est là, déjà en route. On n’en connaît encore ni
l’intensité finale, ni la durée, ni les conséquences à long-terme.
L’histoire d’Antoine
n’est du coup rien d’autre qu’une métaphore romanesque de celle d’une ancienne
gloire, la France, qui prend l’eau de toutes parts et pense, en partie et à
tort, trouver des solutions entre des radicalités qui ne feront que la mener à
une nouvelle peine perdue.
Une fois plongé dans le
roman d’Olivier Adam, impossible d’en sortir. On est happé dans un monde gris
et glauque, superbement décrit, ingénieusement construit, une série d’histoires
comme autant de départs possibles pour d’autres romans à venir, celles de vies
qui cherchent un sens quand toutes les valeurs se barrent. Sans doute le
meilleur roman de l’auteur dont « Les Lisières » avait un peu entaché
une production jusqu’alors de haute tenue. Voilà qui met désormais la barre
encore plus haut. Bravo Mr Adam.
Publié aux Editions
Flammarion – 2014 – 414 pages