Geneviève Brisach aura mis huit ans à écrire ce roman
directement inspiré des « Carnets d’or » de Dora Lessing. Inspiré et
transposé dans la France des années soixante et soixante-dix. Mêmes prénoms
pour les deux sœurs Anna et Molly. Trame générale comparable.
Le regard des autres dont il s’agit ici est celui des
femmes, ces deux sœurs qui se regardent désormais en chiens de faïence alors
qu’elles auront tout partagé dans la France libre et révolutionnaire, partant
jusqu’au Mexique pour participer là-bas aussi aux activités militantes et à une
sorte de guérilla politique avec leurs compagnons et une mère hystérique. Après
une jeunesse fusionnelle, faite d’admiration mutuelle, auprès de deux amants
devenus des héros, l’un mort en prison, l’autre connu pour son engagement
politique, la vie et un drame personnel, que nous finirons par découvrir, ont
fini de les projeter l’une contre l’autre.
L’une est devenue médecin, bien ancrée dans sa vie malgré
une rupture amoureuse difficile avec son compagnon de toujours. L’autre ne
s’est jamais remise de la mort de son homme mais, aussi et surtout, d’une
blessure narcissique beaucoup plus sournoise. Elle est devenue une écrivain
célèbre mais vivant de plus en plus à côté d’elle-même, complètement sous la
coupe d’une mère aussi tyrannique que sans-gêne.
Le regard des autres c’est aussi celui que celles et ceux
qui nous entourent portent sur nous. Un regard qui peut pousser à se fondre
dans un groupe au nom d’une idée ou d’une idéologie comme il peut pousser à
l’ostracisme voire aux blessures physiques pour celui qui va se retrouver
l’objet de toutes les accusations lorsqu’il faut un bouc émissaire, que plus
rien ne va, qu’aucune explication rationnelle ne justifie ce qui se passe.
C’est tout cela que tente de nous montrer Geneviève Brisach.
Tente, car le récit manque cruellement de fluidité au point que l’on met
quelque temps à comprendre qui est qui, qui joue à quoi et avec qui. Un récit
très daté, dans une France désormais oubliée, celle de tous les possibles
qu’ouvrait la révolution libertaire de Mai 68. C’est sans doute aussi, le temps
et la distance aidant, ce qui explique cette impression permanente de flouté et
de flottement dans le déroulé de ce roman.
Selon sa sensibilité, on y adhérera ou non. Pour ma part, je
m’y suis profondément ennuyé la plupart du temps à l’exception notable de la
truculente scène où, débarquées dans un atelier d’écriture situé dans un ancien
asile psychiatrique, la mère va s’emparer brillamment du rôle que sa fille
était censée tenir, profitant de son désarroi, de sa dépression et usant de son
culot habituel. Une scène qui sauve le roman d’un oubli total mais qui n’en
fait pas pour autant une réussite…
Publié aux Editions de l’Olivier – 2014 – 306 pages