Metin Arditi est un écrivain magique, fascinant par son
talent de conteur, captivant par son écriture simple et tendue d’une
extraordinaire culture. Produit du lyrisme oriental par son origine turque et
de l’intelligentsia genevoise, il est l’un des symboles littéraires de ce que
l’Europe a toujours su produire d’intelligence brillante et discrète.
La découverte récente de « Loin des bras » puis de
« La pension Marguerite » nous avait enthousiasmé.
« L’imprévisible » fut à nouveau un superbe cadeau littéraire, un de
ces moments de joie et de communion totale avec ce qu’on appelle
incontestablement le talent.
Pourtant, l’auteur n’avait pas choisi la voie facile pour
nous emmener par la main. Lorsqu’il entreprend de nous mener sur les traces de
l’histoire d’un étrange tableau où seule une main superbement dessinée, d’un
blanc d’ivoire étrange tient la plume qui vient de finir de rédiger un texte a
priori abscons en Florentin du XVIème siècle, on se dit qu’il va falloir
sacrément tenir son sujet pour ne pas tomber dans la pédanterie d’une recherche
historique aride.
Or, Mr Arditi s’en sort une fois de plus de façon
magistrale. Car derrière la façade de ce tableau se cachent plusieurs secrets
en série tant artistiques, qu’historiques et surtout profondément humains. Et
c’est bien des passions humaines qu’il est avant tout question dans ce court
roman flamboyant.
Lorsque Guido Gianotti, l’expert des mains peintes par
Raphaël et admirateur exégète de Rubens, est appelé par Anne-Catherine, grande
bourgeoise, la quarantaine bien portée, pour analyser et évaluer le tableau
qu’elle détient et dont elle veut se débarrasser, aucun des deux n’imaginent
encore que la passion amoureuse les attend au moment le plus improbable.
Guido, la soixantaine bien tassée, est en proie à l’angoisse
d’une virilité de plus en plus défaillante, lui qui fut un grand collectionneur
de femmes. Anne-Catherine vit une séparation douloureuse d’un mari qui l’a
trompa sans vergogne et dont les aventures défrayèrent la chronique de la bonne
société genevoise. Deux solitaires enfermés dans des mondes faits de regrets et
de non-dits.
Autour du tableau dont Guido va savoir révéler les
incroyables secrets se jouent le ballet de la séduction, la découverte qu’on
reste capable d’aimer alors que l’on croit ceci devenu impossible, la
construction d’un amour au temps de la maturité. Un tableau et son histoire,
peu à peu révélée, qui forment un parallèle avec l’enfance de Guido et la
culpabilité persistante qu’il éprouve à croire avoir tué son père. Car Guido
est un homme d’angoisse, de regrets, un être qui retient ses sentiments pour
mieux les maîtriser. Tout le contraire d’Anne-Catherine qui va se livrer sans
retenue dans une passion ravageuse. L’angoisse de Guido et sa hantise permanente
de se montrer sexuellement défaillant le pousseront à prendre de plus en plus
de risques dont l’auteur nous a, dès les premières lignes du roman, révélé où
ils le conduiraient.
De fait, on pourra trouver la fin un peu trop prévisible, à
l’inverse d’un titre dont le propos est
seulement d’illustrer que derrière le convenu et l’apparence se cachent ce que
la patience et l’intelligence ont la capacité à déceler et que, pour peu que
l’on ose, la vie sait nous réserver à tout âge d’incroyables cadeaux inattendus.
On restera fasciné par la beauté, la précision et
l’intelligence des descriptions des tableaux faites par Arditi au point de nous
faire des acteurs vivants d’une matière en apparence morte.
C’est une fois de plus un roman en forme d’hymne à la vie,
réjouissant malgré les épreuves et optimiste qu’il faut voir dans ce magnifique
roman.
Publié aux Editions Actes Sud – 2006 – 206 pages