Lorsqu’Elvis
Presley décède en août 1977 en s’étouffant grotesquement d’abus de nourriture
et de médicaments, le monde s’arrête pour des millions de fans dans le monde
fascinés par celui qui fut une icône, un objet de fantasmes sexuels provoqués
par des déhanchements sur scène qui furent l’une de ses marques de fabrique.
La mort d’Elvis,
comme souvent pour ces stars mystérieuses et retranchées dans une forteresse
censée les abriter d’un monde de groupies quand ce n’est pas pour les protéger
de leur propre infinie fragilité, fit l’objet des plus folles rumeurs jusqu’à
la contester, tellement ceux qui furent témoins de son cadavre bouffi et ne
ressemblant plus que de très loin à l’icône qu’il fut, doutèrent de le
reconnaître.
Partant de là,
Caroline de Mulder nous transporte à Paris, dix-sept ans plus tard, à la porte
d’un grand appartement parisien bourgeois où un Américain, John White, devenu
presqu’aphone, vivant seul avec son chien dans un état de saleté innommable et
de santé précaire s’apprête à accueillir celle qui va devenir sa gouvernante
dévouée.
Quels liens
existeraient-ils potentiellement entre l’Elvis devenu une loque humaine et cette
épave qu’est John White vivant sur un grand pied sans jamais travailler ?
John White pourrait-il être la réincarnation grotesque, misérable de la gloire
déchue d’Elvis ?
Au-delà de cette
question qui sert de prétexte à un jeu de miroirs aussi habilement mené qu’impertinent,
Caroline de Mulder s’attache surtout à nous révéler les faces cachées des
personnalités.
Celle de John White,
petit tyran domestique, alcoolique qui se cache à peine, souillon infâme qui
parvient à retenir dans ses filets une gouvernante sans le sou en la faisant
vivre comme une princesse tout en lui cachant tout de sa vie, de ses origines,
s’habillant de parcours et d’histoires aussi changeantes que son caractère.
Celle de la
gouvernante, veuve éplorée et vivant dans le souvenir permanent d’un mari aimé
et icônisé, sans le sou, troquant sa liberté contre une vie artificielle et
recluse, sans perspectives, remplie de mystères qu’elle se refuse à résoudre
jusqu’à la survenue de personnages et d’évènements extérieurs qui la feront
retomber encore plus bas que de là où elle vient.
Celle surtout d’Elvis
Presley dont l’auteur nous donne à voir la vie tristement vide, en proie à des
angoisses infinies et permanentes qu’il cache sous une débauche de dépenses,
une consommation effrénée de drogues et l’utilisation de moins en moins
sexuelle de jeunes filles à l’eau de rose n’ayant pas froid aux yeux. Un
personnage falot, peu ragoûtant, manipulé par un manager que la passion du jeu
et le poids des dettes poussent à faire chanter son poulain au-delà du
raisonnable quand il ne se commet pas dans des films de plus en plus nuls et
vides de tout talent. Un homme ayant une relation anormale à sa mère et dont la
famille, miséreuse et à moitié folle, fait de lui un simple compte en banque
sur lequel tirer à foison. Un mec angoissé par la solitude, entouré d’une bande
soudards balourds censés le protéger alors qu’ils vivent surtout sur la bête et
prélèvent sans vergogne leurs lots de filles faciles avec lesquelles baiser
sans amour. Un gars obsédé par les femmes, compensant ses échecs d’adolescent
par une recherche effrénée de la femme en fleur idéale mais toujours malheureux
en amour.
Dans un
va-et-vient permanent entre Elvis et White, faisant de la gouvernante une sorte
de lien invisible et involontaire entre deux espaces-temps, l’auteur construit
une fiction à la fois fascinante et glauque, attachante et très réussie.
Publié aux
Editions Aactes Sud – 2014 – 282 pages