Quelles sont les
véritables intentions de cette vieille aristocrate qui se fait appeler Madame
lorsqu’elle décide de s’occuper, en dépit des intéressés, de l’éducation du
fils de ses fermiers, Guillaume, un adolescent de quatorze ans qu’elle s’entête
à prénommer Willy ?
C’est cette
question qu’explore le roman troublant de J.L. Chevrier. Troublant car il
pourrait se situer hors du temps. Un temps qui semble s’être figé sur place,
autour d’une propriété qui connut ses heures de gloire et qui tombe en
décrépitude. Un temps immuable et pourtant contemporain comme en témoignent une
foultitude de détails, rythmé au pas des saisons et des travaux agricoles. Un temps
qui s’étire comme cette vieille gouvernante de Madame qui n’en finit pas de
mourir à petits feux, ultime vestige d’une époque qui fut riche et glorieuse.
Madame dirige le
monde qu’elle s’est fabriqué d’une main de fer. Habillée d’une continuelle robe
grossière noire munie de poches immenses où elle engouffre une théorie d’objets,
elle a des allures de religieuse revêche qui balaye tous les obstacles sur son
passage et n’en faisant qu’à sa tête. Ainsi continue-t-elle, malgré les risques
de panne constants, de partir sur les routes au volant d’une vieille guimbarde,
image d’un temps révolu.
En s’accaparant
Guillaume devenu Willy, Madame a un plan en tête. Un plan dicté par la mort
d’un fils unique au même âge que celui qu’a Guillaume. Un plan retors dont on
ne saura vraiment s’il fut conçu dès le départ ou si la découverte fortuite que
fit Willy, un jour, dans la grange qui tombe en ruines en précipita l’idée et
la réalisation.
Avec méticulosité
et réalisme, JL Chevrier analyse l’évolution des rapports entre Madame et son
monde qu’elle a pour habitude de mettre à ses pieds si ce n’est à ses ordres. A
ce jeu-là, Willy en surprendra plus d’un lui qui entre dans un jeu dont il
ignore tout avant que d’apprendre à en exploiter les règles ou les failles.
Comme un rite de passage de l’enfance à l’adolescence puis au monde des adultes
et à tout ce qu’il contient de fausseté, de secrets, de révélations ou de
manipulations. Par bien des aspects, « Madame » est un roman
d’apprentissage d’ailleurs.
La fin, superbe,
nous réservera une ultime surprise et met une dernière touche à un petit roman
un brin pervers, audacieux et délicieusement mené.
Publié aux
Editions Albin Michel – 2014 – 200 pages