Abandonnant le
roman traditionnel, JMG Le Clézio aborde dans son dernier livre les
« Novellas », terme inventé par les anglo-saxons pour définir les
textes dont la longueur et la trame narrative les situent à mi-chemin entre de courts
romans et de longues nouvelles.
Dans les deux
« novellas », donc, proposées ici, l’auteur s’emploie à regarder de
l’intérieur comment tout un chacun peut survivre, se reconstruire après avoir
subi une tempête personnelle qui aura balayé toute certitude, tout ancrage,
toute raison d’être potentiellement.
Le Clézio aime
fréquenter les personnages en marge, loin des lieux de pouvoir, les êtres en
déshérence sur le point d’être marginalisés ou l’étant déjà tout en leur
prêtant un regard aimant, plein de tolérance et d’une certaine compréhension.
C’est avec cela en tête qu’il convient d’aborder ces deux récits qui nous
projettent au bout du monde.
Le premier texte
nous emmène quelque part sur une île coréenne. Un journaliste occidental y
retourne, bien des années après. Après qu’il ait perdu son épouse vernaculaire,
avalée par la mer comme beaucoup de ces femmes pêchant en apnée pour ramener de
quoi à peine survivre. Mais c’est d’un double deuil qu’il doit s’accommoder,
d’une tache indélébile qui lui valut l’infamie. Journaliste de guerre, il
assista au viol d’une jeune femme et n’intervint pas malgré le regard désespéré
que la victime lui jetait. C’est sorti de prison qu’il s’en retourne sur les
lieux d’une vie heureuse à jamais perdue, passant son temps à vaguement pêcher
et à surtout rêvasser. Il rencontrera une toute jeune adolescente, intriguée,
curieuse, elle aussi à la recherche d’elle-même, elle aussi en proie aux doutes
et à des malheurs et qui, peu à peu, va l’aider à trouver de nouveaux repères
et à redonner un sens à sa vie.
Le deuxième texte
nous fait voyager entre l’Afrique et Paris où une adolescente nous raconte,
d’une voix presque posée, le choc causé par la découverte qu’elle est la fille
d’un viol, née d’une mère qui l’a abandonnée. Comment vivre quand on doit son
existence à un acte de pure sauvagerie et que l’on est rejetée sitôt venue au
monde pour être le symbole intolérable d’un acte lui-même intolérable ?
C’est cette question qu’explore Le Clézio en auscultant les rapports entre cette
adolescente et sa famille d’adoption.
Toutefois, le
point de vue de l’auteur n’est pas de justifier, d’analyser en profondeur. Il
reste à la surface de la douleur car, creuser les choses voudrait dire rendre
une vie hésitante, presque vacillante, impossible car trop insupportable. Il
préfère regarder et écouter ses personnages bouger, se débrouiller avec une
succession de petits riens qui finiront par créer le début d’une impulsion
nécessaire pour justifier de continuer de vivre, malgré tout.
Du coup, ce livre
intimiste, presque minimaliste prend une dimension un peu poétique et onirique,
comme s’il s’agissait de s’éveiller de longs cauchemars qu’il faut évacuer
malgré des traces prégnantes qui subsistent.
Publié aux
Editions Gallimard – 2014 – 240 pages