Derrière le
musicien de génie, celui que le monde de ce début du vingtième siècle
considérait comme le plus grand compositeur français et probablement mondial,
se cachait une sorte de dandy, toujours tiré à quatre épingles, célibataire
endurci, patriote convaincu et obnubilé par le souci de s’isoler. C’est déjà ce
que nous racontait Jean Echenoz dans son magnifique « Ravel » qu’on
ne peut que vous encourager à lire ou à relire.
C’est ce que nous
redit dans une langue superbe, très maîtrisée, précise à l’extrême, aussi
sourcilleuse du détail et de la nuance que la musique de celui qu’elle nous
décrit, le très beau livre de Michel Bernard, un auteur discret, collectionnant
les petits Prix Littéraires et assez spécialisé sur des récits de nature militaire.
Or, c’est à la
période 1916-1937, et plus précisément encore 1916-1928 (l’année de la tournée
triomphale aux Etats-Unis) que s’intéresse l’auteur. Ravel vient d’achever son
Trio en La Majeur pour piano et s’apprête à rejoindre les rangs des soldats sur
le front de l’Est.
Car Ravel n’a eu
de cesse, lui qui fut réformé pour cause de trop petite taille, que de se faire
accepter par une armée dévoreuse d’hommes mais qui ne voulait pas de lui. Il
tenta tout pour être aviateur mais sa complexion lui barra le chemin des airs.
A force d’opiniâtreté, à quarante-et-un ans, il finit par être enrôlé comme
chauffeur de camion et se retrouva, à force d’insistance, à convoyer munitions
et blessés sur le front de Verdun. Tout conspirait à protéger un militaire
encombrant par son prestige. Lui conspira à manifester humblement son
patriotisme et sa solidarité, partageant beaucoup de la vie de ceux qui n’étaient
cependant pas directement exposés aux tirs meurtriers et aux attaques
dévastatrices.
Réformé en 1917
pour des problèmes de santé, revenu de l’idée qu’il se faisait de l’Armée et de
la gloire à servir la Patrie en danger, Ravel se remit progressivement à la
musique. C’est à la naissance de ces partitions révolutionnaires que nous convoque
Michel Bernard cependant pas dans une démarche hautement musicologique ou
historique. Non, ce qui l’intéresse c’est de mettre en évidence la difficulté,
ou non, à écrire, la compulsion à le faire tout en maîtrisant un bouillonnement
que la guerre avait temporairement éteint avant que d’en devenir une source d’inspiration.
Pour y parvenir, Ravel marchait dans les forêts.
Lui le Basque d’origine
et Parisien d’adoption fuit Paris à jamais une fois démobilisé pour partager
son temps, quand il ne voyageait pas la gloire et la richesse définitivement acquises,
entre Lyons-la-Forêt où sa marraine de guerre l’accueillait dans une grande bâtisse
en bordure de la forêt de Rambouillet et Monfort-L’Amaury où il acquit
une maison biscornue et hostile, un peu à son image parce que profondément
originale, bénéficiant d’une vue splendide et qu’il fit entièrement réaménager,
transformer et agrandir à son idée.
La forêt l’accueillit
et le protégea pendant quelques semaines pendant la Guerre. Elle lui servit de
sas de décompression, de lieu d’inspiration et de décantation après. C’est là
que ses idées s’organisaient, prenaient forme.
Ce qui frappe à
la lecture de ce roman grandiose par son style et humble par son propos, c’est
à quel point il semble emprunter à, se « mimétiser » - si j’ose dire -
avec celui qu’elle met en scène. On y observe le parcours relativement apaisé,
lucide d’une célébrité mondiale fuyant les honneurs et recherchant le contact
des gens simples tout en ayant une parfaite conscience de sa supériorité. Un
homme qui s’effaçait derrière sa musique, tout simplement.
Superbe !
Publié aux
Editions Gallimard – 2014 - 176 pages