25.3.15

Les forêts de Ravel – Michel Bernard




Derrière le musicien de génie, celui que le monde de ce début du vingtième siècle considérait comme le plus grand compositeur français et probablement mondial, se cachait une sorte de dandy, toujours tiré à quatre épingles, célibataire endurci, patriote convaincu et obnubilé par le souci de s’isoler. C’est déjà ce que nous racontait Jean Echenoz dans son magnifique « Ravel » qu’on ne peut que vous encourager à lire ou à relire.

C’est ce que nous redit dans une langue superbe, très maîtrisée, précise à l’extrême, aussi sourcilleuse du détail et de la nuance que la musique de celui qu’elle nous décrit, le très beau livre de Michel Bernard, un auteur discret, collectionnant les petits Prix Littéraires et assez spécialisé sur des récits de nature militaire.
Or, c’est à la période 1916-1937, et plus précisément encore 1916-1928 (l’année de la tournée triomphale aux Etats-Unis) que s’intéresse l’auteur. Ravel vient d’achever son Trio en La Majeur pour piano et s’apprête à rejoindre les rangs des soldats sur le front de l’Est.

Car Ravel n’a eu de cesse, lui qui fut réformé pour cause de trop petite taille, que de se faire accepter par une armée dévoreuse d’hommes mais qui ne voulait pas de lui. Il tenta tout pour être aviateur mais sa complexion lui barra le chemin des airs. A force d’opiniâtreté, à quarante-et-un ans, il finit par être enrôlé comme chauffeur de camion et se retrouva, à force d’insistance, à convoyer munitions et blessés sur le front de Verdun. Tout conspirait à protéger un militaire encombrant par son prestige. Lui conspira à manifester humblement son patriotisme et sa solidarité, partageant beaucoup de la vie de ceux qui n’étaient cependant pas directement exposés aux tirs meurtriers et aux attaques dévastatrices.

Réformé en 1917 pour des problèmes de santé, revenu de l’idée qu’il se faisait de l’Armée et de la gloire à servir la Patrie en danger, Ravel se remit progressivement à la musique. C’est à la naissance de ces partitions révolutionnaires que nous convoque Michel Bernard cependant pas dans une démarche hautement musicologique ou historique. Non, ce qui l’intéresse c’est de mettre en évidence la difficulté, ou non, à écrire, la compulsion à le faire tout en maîtrisant un bouillonnement que la guerre avait temporairement éteint avant que d’en devenir une source d’inspiration. Pour y parvenir, Ravel marchait dans les forêts. 

Lui le Basque d’origine et Parisien d’adoption fuit Paris à jamais une fois démobilisé pour partager son temps, quand il ne voyageait pas la gloire et la richesse définitivement acquises, entre Lyons-la-Forêt où sa marraine de guerre l’accueillait dans une grande bâtisse en bordure de la forêt de Rambouillet et Monfort-L’Amaury   où il acquit une maison biscornue et hostile, un peu à son image parce que profondément originale, bénéficiant d’une vue splendide et qu’il fit entièrement réaménager, transformer et agrandir à son idée. 

La forêt l’accueillit et le protégea pendant quelques semaines pendant la Guerre. Elle lui servit de sas de décompression, de lieu d’inspiration et de décantation après. C’est là que ses idées s’organisaient, prenaient forme.

Ce qui frappe à la lecture de ce roman grandiose par son style et humble par son propos, c’est à quel point il semble emprunter à, se « mimétiser » - si j’ose dire - avec celui qu’elle met en scène. On y observe le parcours relativement apaisé, lucide d’une célébrité mondiale fuyant les honneurs et recherchant le contact des gens simples tout en ayant une parfaite conscience de sa supériorité. Un homme qui s’effaçait derrière sa musique, tout simplement.

Superbe !

Publié aux Editions Gallimard – 2014 - 176 pages