« La lumière des étoiles mortes » c’est celle qui
continue de luire, déformée par le temps et la distance, donc dangereusement
trompeuse sur sa réalité et sa force dans la tête d’un homme, Alex, dans sa
soixantaine, acteur de théâtre de profession. Une lumière projetée par deux
femmes qui auront profondément marqué sa vie.
L’une est Cass, sa fille, décédée depuis dix ans après
s’être jetée, enceinte, du haut des falaises d’une petite commune de Ligurie,
sans explication. Depuis, Alex et son
épouse Lydia, vivent dans une sorte d’hébétude, repliés sur eux-mêmes, lui
confiné dans son bureau situé dans les combles d’une grande maison vide, elle
dans une immense cuisine. Ils se sont comme retirés du monde, vivant l’un à
côté de l’autre plus que l’un avec l’autre, cherchant en eux et en l’autre une
explication à un geste inexpliqué.
L’autre de ces lumières est celle qu’il appelle
délicieusement Mme Gray. Elle était la mère de son meilleur ami d’enfance. Elle
fut celle qui lui révéla l’amour et la sexualité lorsqu’ils devinrent amants,
pendant six mois environ, lui à quinze ans, elle à trente-cinq. Une affaire
aussi scabreuse que scandaleuse mais ô combien poivrée.
Choisi pour être l’acteur principal, lui l’homme de théâtre,
d’un film au côté d’une star mondiale consacré à un obscur déconstructionniste
belge à la vie sulfureuse, Alex meuble les périodes où il ne tourne pas en
plongeant dans son monde intime.
C’est ce voyage vers ces lumières des étoiles mortes, celle
d’un passé désormais éteint, auquel nous participons de façon superposée à la
vie actuelle qui continue, malgré tout et presque malgré lui, à se dérouler. Et
comme souvent, passé et présent finiront par se rejoindre en de surprenantes et
troublantes similitudes qu’on ne peut pas prendre que pour de simples
coïncidences.
Mais surtout, ce que nous montre John Banville grâce à un
dernier chapitre aussi inattendu que réussi, c’est qu’imaginaire et souvenirs
se combinent à l’infini et finissent par former une représentation du monde et
du passé qui, le temps passant, la vie apportant ses douleurs et déceptions,
deviennent plus la figuration d’un espace-temps rêvé que la remémoration
objective des faits.
Dans ce roman, il ne se passe presque rien si ce n’est une
tentative désespérée de fuir la douleur des échecs que porte toute vie en soi
en se réfugiant dans des souvenirs que l’on finit par idéaliser et arranger.
Car il est toujours plus facile de s’accommoder des lumières provenant
d’étoiles éteintes avec lesquelles il est possible de s’arranger que de faire
face à la réalité d’une vie rarement douce. C’est ce glissement psychologique,
presque sémantique, que nous montre avec un incroyable talent, un sens du
renouvellement et de l’approfondissement stupéfiant un immense écrivain. Son
nom : John Banville. A vous de jouer…
Publié aux Editions Robert Laffont collection Pavillons –
2014 – 347 pages