Je me souviens avoir découvert Stefan Zweig il y a
maintenant plus de trente ans, à une époque où peu commençait à s’intéresser à
lui grâce aux conseils avisés de ma respectée professeur de philosophie de
Terminale Scientifique. Ce fut un choc et je me mis à dévorer tout ce qui
devenait progressivement disponible en édition française.
Reprendre la lecture de cet auteur majeur du XXeme siècle
classique allemand longtemps plus tard, la maturité venue, reste un régal pour
l’esprit. Zweig avait un don incroyable pour faire d’une histoire simple un
instant d’émotion, d’intensité dramatique en usant d’une langue belle sans être
ostentatoire.
Dans ce court opus, c’est l’éternel ballet entre une femme
aimante et un homme volage qui est mis en scène mais avec originalité, pudeur,
sans le moindre esprit de revanche. Pourtant, cette inconnue qui se confesse en
adressant une longue missive à un homme aurait bien des raisons d’en vouloir à
celui qui fut, toute sa vie, son amant malgré lui.
Amant malgré lui car, bien que cette figure d’écrivain
célèbre, double de l’auteur sans doute, collectionnât les conquêtes féminines,
ce fut cette femme qui le choisit, l’aima en dépit de lui-même, en le lui
dissimulant.
Arrivée au seuil de la mort, frappée trop tôt par la maladie
et la mort de son jeune fils, cette femme décide de prendre la plume pour dire
qui elle fut vraiment pour lui. Elle l’aima en silence et avec dévotion dès
treize ans, adolescente indigne de son regard, maladivement obsédée par ce
jeune voisin de pallier inaccessible. Elle devint sa maîtresse à dix-huit ans
car ce fut elle qui provoqua la rencontre, suscita une conquête gagnée
d’avance, sûre de sa beauté et de ses atours, cédant sans la moindre résistance
quitte à passer pour une cocotte. Il ignorait déjà que la frêle voisine s’était
transformée en femme fatale.
Quand, après quelques nuits d’amour, il reprit le cours de
sa vie de dandy, elle disparut en silence, puis se résigna pour, à nouveau, plus
tard, sans qu’il la reconnût, devenir une nouvelle conquête d’une nuit.
Prise et délaissée, reprise et baisée, pour reprendre les
termes de la belle préface d’E. Zylberstein, elle accepta tout par amour total,
unilatéral jusqu’à lui cacher l’existence d’un fils qu’il ne connut jamais.
Elle ne vivait que pour ses moments d’extase, de fusion charnelle avec un amant
attentionné, jamais rassasié de trop de femmes.
On assiste à l’une des plus belles pages d’amour dans ce
court roman, un amour qui pousse à toutes les folies, à tout abandonner en
sachant qu’on le sera bien vite ensuite, sans espoir de retour mais sans rien
demander non plus. Seule une femme peut être capable d’un tel sacrifice et
c’est ce que Zweig a su si brillamment mettre en scène.
Publié aux Editions Stock – réédition 2009 – 106 pages