La petite maison d’éditions bretonne Gallmeister s’est fait
une spécialité de découvrir et publier des auteurs nord-américains inconnus
mais ayant produit des romans de grande qualité, souvent largement inspirés de
l’immensité et de la rudesse du paysage que ce vaste continent a à offrir.
Cette réédition du roman de Mark Spragg n’échappe donc pas à
la règle. Ne cherchez pas ici la moindre trame romanesque, le moindre récit
linéaire qui nous conterait les aventures d’une cohorte de personnages.
Car ce dont il s’agit, c’est tout simplement de nous plonger
au cœur de la vie quotidienne des membres d’un ranch, celui des « Sabres
croisés », perdu en plein Wyoming. Un morceau du Nord des Etats-Unis où
une immense plaine ventée vient buter sur des monts hostiles. La beauté des
paysages y est époustouflante et la population d’une densité inversement
proportionnelle à celle des chevaux et du bétail qui paissent au sein de
pacages gigantesques.
Dans un ranch où la survie de l’exploitation comme des
hommes et des bêtes se joue chaque jour, la journée commence dès quatre heures
du matin, dans le froid intense. Un froid avec lequel il faut apprendre à vivre
et à combattre car l’hiver il y fait fréquemment au-delà de moins trente
degrés.
Au fil d’une écriture profondément lyrique et sublime, Mark
Spragg nous fait vivre de l’intérieur les mille et un dangers qui guettent à
chaque instant. La traversée des rivières en crue qui font de régulières
victimes parmi les hommes et les chevaux, la rencontre fortuite avec les ours
qui vous égorgent d’un coup de patte, les parties de chasse conduites pour des
riches citadins qui viennent s’abrutir d’alcool et d’émotions fortes sous la
surveillance de gamins élevés à la dure et perchés sur un cheval dès leur plus
jeune âge.
Loin de toute ville et de la civilisation, il faut tout
apprendre par soi-même. A se soigner, à s’instruire, car manquer l’école
distante va de soi lorsque les circonstances l’exigent, à survivre lorsqu’on
est coincé par le blizzard mortel, à discuter les prix sur tout, à bricoler des
guimbardes qui tiennent par le miracle du Saint-Esprit.
C’est tout cela que nous vivons profondément, avec la même
intensité que ces pauvres hères pour lesquels la vie au ranch sert de vie tout
court, sans famille, sans contact ou presque avec le reste des hommes dans un
monde des années soixante où l’omniprésence du numérique n’avait pas rendu
l’accès à tout ou presque quasi immédiat.
Un monde sauvage, puissant et rude magnifiquement rendu par
l’écriture proche d’un Hemingway de Mark Spragg.
Publié aux Editions Gallmeister – 2015 – 343 pages